MHD, calé des couplets

Published 16/09/2018 in Musique

MHD, calé des couplets
A 24 ans, le prince de l’afro trap fait mouche avec ses rythmiques coupé-décalé et un verbe qui pioche dans l’argot et différentes langues africaines.

Rencontre

Lancé en 2015 avec sa vidéo virale «Afro Trap», l’ex-livreur de pizzas devenu rappeur a connu un succès international foudroyant. Sur «19», son second album riche en invités, il rend un bel hommage à son quartier du nord-est parisien ainsi qu’à ses origines panafricaines.

«Hey, assez/ Du talent j’en ai assez/ Hier en métro, aujourd’hui Classe C», amorce MHD sur des paroles de son titre Bodyguard, sur lequel il s’ambiance avec son ami d’enfance – et acolyte sur scène- entre deux prises dans un studio londonien. On est début juillet et nous ne savons pas que nous serons bientôt champions du monde. Pour l’heure, nous sommes invités à suivre le jeune prince de l’afro trap de 24 ans dans un décor construit, sous nos yeux, en carton et en néon. Douze heures pour mettre en boîte une vidéo pour la ballade Bella, avec le Nigérian Wizkid en featuring. Bientôt, le succès sera béton : 29 millions de vues depuis sa mise en ligne mi-juillet.

En loges, MHD choisit sa tenue pour la prochaine scène parmi une panoplie Gucci et s’offre des pauses en écoutant le dernier son des rappeurs Dosseh et Lacrim. Plus tôt, on avait croisé le rappeur en tournage dans le XIXe arrondissement de Paris et dans une autre ambiance, entre le parc des Buttes-Chaumont et le quartier Jaurès. Devant les immeubles de la Cité rouge ou avenue Simon-Bolivar, en compagnie de sa bande soudée aux âges divers, massée autour d’une caméra en mode selfie dans des mouvements de danses synchrones et joyeuses. «L’afro trap a un tempo afro qui donne envie de danser et véhicule des émotions. J’ai voulu garder le côté facile et d’enjaillement de l’afro mélangé au rap français. On peut faire de l’afro-conscient mais il y a quand même ce rythme», détaille MHD à propos de son univers, inauguré en 2015 avec sa première vidéo, Afro Trap. Elle sera suivie de neuf autres freestyles, dont Afro Trap Part 3 (Champion’s League), devenu hymne pour le PSG et qui a séduit jusqu’à Drake et Madonna.

Première partie de Booba

Tous ces cartons lui ont fait remballer son scooter sur lequel il livrait jusqu’alors des boîtes de pizza et changer radicalement de vie. Mohamed Sylla dédie toutefois 19, son nouvel album, à son quartier, dont il n’a toujours pas déserté les rues après avoir tourné en première partie de Booba en France, de Black M en Afrique ou rempli un stade en Guinée à Conakry. Prochaine étape : son premier concert à l’AccorHotels Arena le 29 mars et surtout ce second album, qui sort mardi. Sur la pochette, couronne de roi à la main, MHD a le regard tourné vers un paysage africain au soleil couchant et porte un maillot floqué 19. Sur le disque, ces 19 titres ne cachent pas leur volonté de changer la musique, avec des rythmiques coupé-décalé et un verbe qui pioche dans l’argot et différentes langues africaines. «Mes morceaux, ce n’est pas le théorème de Pythagore. C’est vraiment simple et c’est pour ça que les jeunes accrochent vite. Parfois, je ne répète qu’un mot qui peut être repris dans un concert», désosse-t-il. Avec  19, il amorce également un virage international. Senseless Ting, avec la Britannique Stefflon Don, embrasse des influences jamaïcaines qui font souffler un vent nouveau sur le rap anglais. Fuego, de son côté, est produit par Diplo, qui avait remixé la Puissance avec son projet Major Lazer, et aidé à son exportation. L’Américain s’efface pourtant discrètement sur cette production. «Diplo a su s’adapter à mon genre de musique, il a cherché mon confort dans cette instru», se félicite MHD. Enfin il y a cette ballade légère avec Wizkid, roi de l’afrobeat nigérian de 28 ans qui bouscule les codes et frontières de l’entertainment ouest-africain et a capté l’attention de la scène hip-hop dominante, des Etats-unis à Londres. Sa collaboration avec MHD clippée ce jour-là à Londres a forcément quelque chose d’un symbole.

Débit ralenti

«Ton anglais est sorti lisse ou bien ?» envoie Didier Drogba en commentaire d’un post Instagram de MHD pris pendant le tournage. Réponse : s’il s’améliore en interview et pour faire des blagues sur le plateau, MHD chante toujours en français. «J’attends que ça tombe dans les oreilles de l’international pour pouvoir faire mes concerts à l’extérieur. C’est assez dur car il y a déjà la barrière de la langue alors il faut travailler deux fois plus que les autres», explique-t-il. Le texte de Bella, qui alterne anglais et français, raconte comment deux hommes sont tombés amoureux de la même voisine et vont découvrir que – ouf ! – elle a une sœur jumelle et ainsi rester bons amis. La mannequin choisie, élégante Suédoise, est fan de MHD. Elle reste tétanisée quand Mohamed Sylla tente de la faire danser dans une scène, fort d’une assurance qui fait le sel de ses lives, impressionnants dès ses débuts. «Le premier concert auquel j’ai assisté, c’était quand j’ai fait des premières parties pour Booba. Mais je n’ai pas peur. Je suis comme un footballeur qui n’a pas à avoir peur de jouer devant des gens qui sont là pour s’amuser, rigoler. Je suis toujours en mode assurance».

Sur le tournage londonien du clip pour «Bella». La vidéo affiche près de 29 millions de vues depuis sa mise en ligne mi-juillet. (Photo Manuel Vazquez pour Libération)

Car MHD n’attend pas qu’on lui jette des fleurs. Sur le titre Bravo, il s’autocongratule de son succès mondial : «Hola ! Mon son dépasse toutes les frontières, même dans les favelas on danse la moula/ Showcase à Marrakech, j’khalass en dirham». Le titre est produit par Dany Synthé (Maître Gims, Booba, Aya Nakamura), l’un de ses producteurs fétiches avec le jeune beatmaker d’origine ivoirienne DSK on the Beat. Titres ego trip, conscients et ballades s’emboîtent. Sur le Temps, coproduit par Stromae, il entraîne le boudeur Orelsan dans une rythmique coupé-décalé, sur une chanson d’amour qui se vit au ralenti, racontée en alternance par ces deux poids lourds du rap. Aussi, le débit Formule 1, qui était la marque de fabrique de MHD, a ralenti et on le trouve presque trop poli – il pense à sa petite sœur et à sa mère, dit-il. «C’est peut-être mon tempérament d’aujourd’hui. J’ai assez fait le fou. C’était le moment de me poser et raconter en détail ce que j’avais dans la tête». Vendéen de naissance, aux origines guinéennes par son père et sénégalaises par sa mère, MHD porte très fièrement son africanité. «J’ai écouté des musiques africaines d’abord par les parents, avec les chants traditionnels, puis j’ai eu envie de creuser plus loin. En allant sur Internet, on se retrouve à écouter des musiques de partout, des musiques orientales. Et puis on habite dans une cité, et il y a le rap français», résume-t-il avec, bien souvent, cet usage du «on» collectif.

Sa liste d’invités en est le reflet, du chanteur Dadju (frère de Maître Gims), à la Nigériane Yemi Alade, nouveau visage de l’afro-pop, en passant par le Malien Salif Keïta, sommité de la musique d’Afrique de l’Ouest, dont l’intense chant ouvrant l’album forme un toit confraternel sur un album qui célèbre une musique panafricaine. «Le texte retrace le parcours de nos ancêtres, c’est une intro très courte donc on ne peut pas raconter toute l’histoire mais le thème, c’est les racines, l’Afrique, la famille», détaille le jeune rappeur. Autre signe de son évolution, MHD sera bientôt acteur au cinéma, dans un film de Julien Abraham, réalisateur de la Cité rose, qui lui a confié un rôle principal. Les «haters» qu’il évoque dans Rouler apprécieront : «Toujours la même équipe les mêmes envies/ On attire les haineux toujours les mêmes qui envient», y rappe-t-il, amusé. «Nous voir rouler avec de bel les voitures, ça plaît pas à tout le monde. C’est très important pour moi de le signaler. Je sais que les gens vont écouter l’album et c’est un petit clin d’œil pour leur dire : “Je sais que vous êtes là mais je m’en fous”», nous confie-t-il sans relever la contradiction.

Bouc peroxydé

La rue des Chaufourniers, évoquée dans Afro Trap Part 3, habituellement peuplée de jeunes discutant autour des scooters, prend des airs de Monte-Carlo quand MHD est dans les parages, avec son défilé de bolides en leasing garés au bord de la grille, mais en plus fun quand même. On l’a croisé là encore récemment, avec son nouveau bouc peroxydé et sa bande d’amis. Quelques semaines plus tard, on l’interroge sur ses relations avec ceux de son quartier. «Les jeunes de la cité peuvent se dire en me voyant que je suis un jeune du quartier parti de rien et qu’on peut réussir», dit-il. On pense à XIX, rap mélancolique en forme de carte de visite sincère, plus basique mais aussi plus intime, où il revient sur ses années de deal et de loyers impayés : «On n’attendait pas Halloween pour aller toquer aux portes.» Depuis, Mohamed Sylla a pris le grand ascenseur de verre mais garde toujours un œil sur le rez-de-chaussée. «Même si je joue au festival Coachella à Los Angeles, je ne les oublie pas. J’ai toujours le XIXe dans ma tête. Cet album, c’est l’occasion de représenter le quartier, de le remercier. On y écoute de tout, du rap français, de l’afro, du rap US. Il y a souvent des enceintes dehors, il y a une belle culture musicale dans le XIXe. Mais pour le premier album, je refusais souvent les interviews dans ma cité. Je ne voulais pas être un énième jeune de cité. Je veux juste l’étiquette artiste», réclame-t-il.

ParCharline Lecarpentier Envoyée spéciale à Londres Photos Manuel Vazquez pour Libération

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