«Aucun homme ni Dieu», pas de quoi crier au loup

Published 02/10/2018 in Cinéma

«Aucun homme ni Dieu», pas de quoi crier au loup
Russell Core (Joffrey Wright), expert en loups un poil dépassé.

Critique

Réalisé pour Netflix, le film de Jeremy Saulnier est trop empesé et premier degré pour détourner les codes du «slasher» enneigé.

D’abord chef opérateur (la belle photo de Putty Hill, réalisé par son ami Matthew Porterfield), Jeremy Saulnier a rapidement montré qu’il n’entendait pas s’épanouir dans le film indé atmosphérique. Il lui fallait un alcool plus puissant et une plus large audience. Son premier film, Blue Ruin (2013), raconte le bain de sang vengeur d’un homme voulant faire la peau à celui qui a tué ses parents. Lui succède Green Room (2015), où un groupe de rock se retrouve séquestré et violemment attaqué par une escouade de skinheads.

Doudoune. Ce double viatique en forme de relecture fauchée mais stylée du slasher movie des familles lui a permis de décrocher la réalisation de la troisième saison de True Detective pour HBO. Mais en mars Variety annonçait que Saulnier quittait le projet pour des raisons de «calendrier», ce que le principal intéressé a confirmé d’un simple «No comment» sur Twitter. Le fait est qu’il avait aussi signé un projet de long métrage pour Netflix, Hold the Dark, présenté en avant-première au festival de Toronto en septembre et que la plateforme a mis en ligne il y a quelques jours, en France sous le titre Aucun homme ni Dieu.

Sur un scénario de Macon Blair (l’acteur principal de Blue Ruin), adapté d’un roman de William Giraldi, on peut, dans un premier temps, avoir l’impression que Saulnier a changé de genre avec cette histoire de village en Alaska où trois enfants ont été enlevés par des loups. Medora (Riley Keough), la jeune mère de la dernière victime, contacte un type qui a écrit un livre sur les loups, avec lesquels il aurait passé un an ou deux, sans que l’on comprenne trop dans quel cadre il a mené cette étude. La mère lui demande de rappliquer, non pour ramener l’enfant (elle ne se fait pas d’illusions) mais pour tuer le loup responsable du rapt et de la mise à mort. Avec une vraisemblance très relative, Russell Core (Jeffrey Wright) débarque tout seul à Kelut, sous plusieurs épaisseurs de doudoune et d’une humeur morose. Mais il a à peine le temps de découvrir les joies glacées du secteur que Medora disparaît et qu’il découvre le cadavre du gamin dans la cave de la maison.

Carnages. Entre-temps, on a vu le père, Vernon (Alexander Skarsgard), en mission en Irak, arroser de plomb tout ce qui bouge et éventrer un collègue surpris en plein viol. Au bout d’une demi-heure de film, la mise en scène empesée a beau nous suggérer qu’il se passe un truc grave, on a un peu de mal à se mettre au diapason de la solennité affichée par le récit et ses protagonistes.

La suite va confirmer que Saulnier ne s’intéresse ni au mystère ni au hors-champ, et comme il l’avait dit dans une interview accordée à Indiewire, il entendait bien exploser avec ce film le compteur à macchabées et dépasser ses anciens états de service. Par le fait, le cœur d’Aucun homme ni Dieu est une fusillade par un sniper embusqué au sommet d’un chalet qui se paye à peu près l’intégralité de la population policière du district. Pendant ce temps, Vernon, rentré au bercail, se livre lui aussi à d’incessants carnages polymutilants (flingues, couteaux, flèches…). Le premier degré de Saulnier lui interdit de jouer des codes du genre autrement qu’en postulant une richesse de contenu dont il ignore lui-même la nature ou les ingrédients. C’est peut-être le signe que la carte blanche que laisse Netflix aux cinéastes qu’ils veulent s’acheter pour les avoir dans leur giron trouve ses limites avec un réalisateur qui, depuis le début, semble surtout pressé de faire carrière en direction du mainstream.

ParDidier Péron

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