Bolsonaro : la fulgurante ascension du capitaine de la haine

Published 29/10/2018 in Planète

Bolsonaro : la fulgurante ascension du capitaine de la haine
Jair Bolsonaro en 1988 au Parti démocrate chrétien.

Profil

Le candidat d’extrême droite a été élu dimanche président du Brésil avec 55,1 % des voix. Militaire et nostalgique de la dictature, il s’est révélé piètre parlementaire avant de profiter d’émissions télévisées pour proférer ses attaques homophobes et racistes.

Le cauchemar est devenu réalité dimanche : le plus grand pays d’Amérique latine a élu pour quatre ans un président d’extrême droite, qui n’a jamais cherché à édulcorer son discours de haine et d’exclusion contre les militants de gauche, les Noirs, les femmes ou la communauté LGBT. Jair Bolsonaro, 63 ans, a obtenu 55,1 % des suffrages face au candidat de gauche Fernando Haddad (45 %). Le 1er janvier, son entrée en fonction ouvrira une période d’incertitude pour un Brésil profondément fracturé. Comment son parcours de militaire discret, puis de terne député, lui a-t-il permis de parvenir à la plus haute fonction de l’Etat ? Eléments d’explication.

Le militaire

Le 3 septembre 1986, l’hebdomadaire Veja publie une tribune d’une page titrée «Le salaire est bas» et signée du capitaine Jair Messias Bolsonaro, du 8e régiment d’artillerie. Un petit portrait, béret rouge et moue sévère, accompagne le texte. C’est la première fois que le nom du futur président est porté à l’attention du public. Le début de la tribune est éloquent : «Il y a quelques jours, la presse s’est fait l’écho de l’expulsion de dizaines de cadets de l’académie militaire d’Agulhas Negras, pour homosexualité, consommation de drogue et manque de vocation.» Sa thèse est que la véritable raison de ces départs est une solde peu motivante. Le capitão a alors 31 ans, et la dictature des généraux a pris fin un an et demi plus tôt avec l’accession du civil José Sarney à la présidence. Né à Glicério, dans l’Etat de São Paulo, au sein d’une famille d’origine italienne, Jair Bolsonaro n’a jamais envisagé d’autre métier que celui des armes. Parachutiste, il se distingue davantage par sa force physique (qui lui vaut le surnom de «Cavalão», «gros cheval») que par ses aptitudes à commander.Il accède au grade de capitaine mais, selon des documents révélés en 2017, il est mal noté par ses supérieurs qui le jugent «trop ambitieux sur le plan financier».

Bolsonaro ne se trompe pas quand il écrit, dans Veja, que son initiative «peut mettre en péril [sa] carrière». Ce manquement à l’obligation de réserve lui vaut quinze jours d’arrêt pour indiscipline. Un an plus tard, il est mêlé à un épisode obscur : une campagne de plasticages dans des casernes pour attirer l’attention sur… les bas salaires. Il est jugé, expulsé de l’armée puis réhabilité. Mais il a compris que l’avenir d’une grande gueule comme la sienne n’est pas dans la grande muette.

Le parlementaire

Sa campagne pour améliorer la paie des soldats l’ayant extrait de l’anonymat, Jair Bolsonaro entre en politique en 1988. Quand il a décroché son septième et actuel mandat, il est député fédéral depuis vingt-sept ans. Sa carrière est marquée par d’incessants changements de partis (neuf au total), comme par son isolement. En lice pour le perchoir l’an dernier, il n’a recueilli que 4 voix sur 513. Et sur les 171 propositions de loi qu’il a présentées, seules deux ont été approuvées. Plus de la moitié ont trait aux intérêts des corporations policière et militaire, noyau dur de son électorat, ou à la sécurité publique, comme la libéralisation du port d’armes. Dans son programme figure aussi la réduction des naissances chez les pauvres, nécessaire, à l’entendre, pour lutter contre la criminalité et l’indigence. Ou encore l’interdiction de l’IVG en cas de viol, un des rares cas où elle est permise.

En 2012, il s’était opposé à la création par la présidente Dilma Rousseff (Parti des travailleurs, PT), de la «commission de vérité» qui a révélé les exactions de l’armée pendant la dictature (1964-1985). Il fut aussi l’un des deux seuls députés à voter contre l’extension aux employés domestiques des droits du travail salarié, loi qui a nourri la rancœur de la bourgeoisie contre le PT. S’il a appuyé les récentes mesures impopulaires du gouvernement Temer – gel des dépenses publiques sur vingt ans et réforme du code du travail -, Bolsonaro a voté contre les privatisations des années 90 ainsi que les principales tentatives de réforme des retraites, ce qui laisse planer le doute sur sa soudaine profession de foi libérale. Son avant-dernière formation, le Parti progressiste (droite dure), est celle qui compte le plus grand nombre de mis en examen pour corruption. «Quel parti n’a pas reçu de pots-de-vin ?» avait-il admis.

Le quotidien Folha de São Paulo impute quelques casseroles au «M. Propre» autoproclamé du Brésil : népotisme, usage indu des indemnités au logement (qu’il perçoit, bien que propriétaire d’un appartement à Brasília), sans compter un important patrimoine immobilier amassé avec trois de ses fils, également parlementaires, depuis l’entrée du clan en politique.

Le provocateur

Ce n’est pas à la tribune du Congrès que Jair Bolsonaro va acquérir une vaste popularité, mais dans l’arène médiatique. Sur la chaîne Bandeirantes, une émission mêlant politique et divertissement, Custe o que custar («Quoi qu’il en coûte»), donne à plusieurs reprises la parole à ce député jusqu’alors sous-médiatisé. Et ses interventions deviennent rapidement virales. L’une des journalistes qui l’interrogent est Preta Gil, fille du chanteur Gilberto Gil, un proche de Lula dont il fut ministre de la Culture. Quand elle demande à Jair Bolsonaro, en 2011, comment il réagirait si un de ses fils tombait amoureux d’une femme noire, il répond : «Je ne me prononce pas sur la promiscuité. Le risque est exclu, car mes enfants ont été très bien éduqués et n’ont pas vécu dans un environnement comparable, hélas, au tien.» Métisse et bisexuelle, Preta Gil voit dans l’association entre femme noire et promiscuité sexuelle un propos raciste et attaque en justice son interlocuteur. Sa plainte sera archivée. Autre collaboratrice de l’émission, la journaliste Monica Iozzi a fait récemment son mea culpa : «Notre but était que le public ouvre les yeux sur le niveau déplorable des députés que nous élisons. Nous n’avons jamais pensé que des gens s’identifieraient à de tels discours.»

Bon pourvoyeur de clics choyés par les médias, Bolsonaro multiplie les sorties racistes et homophobes. Un jour, il affirme que la sécurité sociale ne doit pas prendre en charge les personnes séropositives car leur contamination est le résultat de leur «promiscuité sexuelle». Le lendemain, il lance en riant : «J’ai cinq enfants, les quatre premiers sont des mâles, puis j’ai eu un moment de faiblesse et j’ai fait une fille.» Il déclenche une nouvelle polémique sur le statut des territoires où vivent les quilombolas, descendants d’esclaves marrons qui s’étaient révoltés contre leurs maîtres. «J’y suis allé, ils ne travaillent pas, ils ne servent même pas à procréer», lance-t-il. Selon lui, rien ne devrait empêcher de livrer ces territoires (jusqu’à présent protégés par la loi) aux appétits de l’agrobusiness ou de l’exploitation minière.

Mais c’est sa défense de la dictature militaire qui va le propulser encore plus haut. En juin 2016, les députés votent la procédure de destitution de la présidente de gauche Dilma Rousseff. Devant les caméras, Jair Bolsonaro se prononce pour l’éviction et dédie son vote au colonel Brilhante Ustra, tortionnaire avéré sous la dictature. Et, selon le député, «terreur de Dilma», pour rappeler que la présidente, militante de gauche arrêtée dans les années 70, avait elle-même subi la torture.

Le candidat

Dès 2015, Jair Bolsonaro vise la présidence. Mais son entourage doute. Un député aux saillies insultantes pour les femmes, les Noirs, les homosexuels et les pauvres n’aurait pas le profil de l’emploi. Bolsonaro insiste : «Si je fais 10 %, ce sera déjà ça.» La campagne contre Dilma Rousseff lui ouvre un boulevard en consacrant la montée de la droite radicale. La droite classique n’arrive plus à incarner le rejet du PT, usé par le pouvoir, les affaires et une crise économique sans précédent. Bolsonaro, lui, menace de «mitrailler les petistas»… Il surfe aussi sur le discrédit de la classe politique, impliquée dans un tentaculaire scandale de financement illicite des partis. «Avoir été un député marginal est devenu un atout qui lui a permis de se poser en outsider, analyse l’universitaire Pablo Ortellado. D’autant qu’il se présente comme étant militaire.»

Début septembre, il prend la tête des sondages après l’invalidation de la candidature du favori, l’ancien président Lula, en prison pour corruption. Le 6 septembre, il est poignardé par un déséquilibré en plein bain de foule, à Juiz-de-Fora. Dès lors, Jair Bolsonaro va creuser l’écart avec le successeur de Lula, Fernando Haddad. En convalescence, il ne prend plus part aux débats, qui avaient mis à nu son impréparation. Même rétabli, entre les deux tours, il se refuse à débattre. Du jamais-vu depuis le retour au suffrage universel, en 1989. Au mouvement Ele Não («Pas lui») lancé par des femmes, il répond par «PT Não». Et voit le «communisme» partout.

«Cette rhétorique lui permet de masquer son manque d’idées, commente la sociologue Esther Solano. Bolsonaro va mettre des généraux au gouvernement pour répondre à une demande d’ordre. En cela, il désamorce les appels à une “intervention militaire”.» Le candidat a également bénéficié du soutien actif des Eglises évangéliques, mais aussi d’entreprises qui ont financé illégalement une campagne de dénigrement de Fernando Haddad sur la messagerie WhatsApp. Son discours du 21 octobre, dans lequel il somme l’opposition de choisir entre «la prison et l’exil», avait mis en alerte une partie de la droite encore capable de s’émouvoir de ses poussées autoritaires. Peine perdue.

ParChantal Rayes

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