L’Amérique latine au meilleur de ses formes

Published 03/01/2019 in Arts

L’Amérique latine au meilleur de ses formes
L’un des immeubles de l’architecte bolivien Freddy Mamani à El Alto.

Exposition

A la Fondation Cartier, une exposition pointe l’omniprésence et la pérennité des formes géométriques dans les arts visuels du sous-continent.

Vue du ciel, l’Amérique latine forme un vaste triangle. Est-ce pour cela que tout l’art de ce continent fourmille de figures géométriques ? Vous n’aurez pas la réponse en visitant l’épatante exposition «Géométries Sud» à la Fondation Cartier. Mais vous constaterez, avec 250 œuvres, que cercles, carrés, angles, rectangles, lignes, points agitent les arts visuels du Mexique à la Terre de Feu, comme électrons et protons structurent la matière.

Dans un époustouflant voyage au cœur de l’esthétique du continent, textiles, photographies, sculptures, installations, architectures et peintures vibrent en effet d’échos ronds et carrés, comme dans un long kaléidoscope. De l’infime au monumental, des visages humains aux immeubles, de l’Amérique centrale au pôle Sud, courbes et droites semblent façonner un mystérieux langage propre à cette partie du monde.

Point de rencontre entre forces telluriques et célestes, bruissant des murmures des civilisations mayas, olmèques ou zapotèques, le parcours de la Fondation Cartier s’arpente les sens en alerte, face à l’énigmatique répertoire de 70 artistes, contemporains pour la plupart. Les architectes, par exemple, en mettent plein la vue. Et leur apparition sur le sol français est une véritable claque visuelle.

Au rez-de-chaussée, le Bolivien Freddy Mamani a reconstitué une impressionnante «salle de bal» telle qu’il les conçoit à El Alto, dans son pays natal. Modelée de frises en stucs, peinte de couleurs vives et rehaussée d’un lustre monumental à pampilles cinétiques, cette pièce sert d’écrin à plusieurs films sur son travail. Issu de la culture indigène, formé par un père maçon, Freddy Mamani imagine depuis les années 2000 une architecture tranchant radicalement avec la monochromie et l’uniformité des rues de l’Altiplano. Visibles sur une série de pétulantes photographies, ses édifices à motifs et reliefs géométriques, aussi gais que des perroquets, pimentent les rues de La Paz. Ce style néo-andin porte haut les couleurs d’une nouvelle bourgeoisie aymara, issue des communautés indigènes. Au fil d’un documentaire, on note les échos de ces architectures baroques avec les dessins traditionnels sur le bonnet d’un paysan. On retrouvera cet ode aux couleurs vives dans les photos urbaines de l’Argentin Facundo de Zuviria.

Dans la belle salle vitrée de la Fondation trône également l’impressionnant château de cartes des architectes paraguayens Solano Benítez et Gloria Cabral. Empilement de losanges aériens, cet édifice en briques et béton conçu pour l’exposition s’inspire des techniques d’antan et résonne avec les fins triangles métalliques de l’artiste Gego, Allemande émigrée au Venezuela pour fuir le nazisme. Au sous-sol, les œuvres rapetissent. Les géométries s’invitent sur des masques, des gobelets, des sacs, des ceintures, des visages et des corps. Tout danse délicatement dans cet accrochage de photographies, d’objets et de peintures. Particulièrement les dessins au feutre de Bruno Barras avec des petits personnages en pointillés et rayures, typiques des divinités de la forêt paraguayenne, en pleine déforestation. De cette partition rythmique naît une émotion, rare dans une exposition, avec l’impression d’effleurer une indéfinissable intuition visuelle et spirituelle.

ParClémentine Mercier

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