La santé au travail se noie sous les normes réglementaires

Published 25/02/2019 in France

La santé au travail se noie sous les normes réglementaires
Chronique «Aux petits soins».

Chronique «Aux petits soins»

Alors que le «Bulletin épidémiologique hebdomadaire» publie ce mardi matin trois études montrant les risques professionnels bien réels sur la santé, le professeur William Dab s’inquiète d’un manque de données et de recherches pour mener de réelles politiques de prévention.

Des données inédites, d’abord : dans le monde agricole, la très forte proportion de symptômes dépressifs peut atteindre 14,7% chez les hommes, et 21% chez les femmes. Autre information : la prévalence de l’asthme est supérieure chez les salariés agricoles à celle de la population générale en raison de l’air qu’ils respirent. Enfin – et c’est assurément un des chiffres les plus inquiétants –, une étude montre que plus d’un million de travailleuses en âge de procréer sont exposées à des solvants oxygénés, dangereux pour elles et pour le fœtus.

En matière de santé au travail, ces données, que publie ce mardi le Bulletin épidémiologique hebdomadaire (BEH), sont d’autant plus précieuses qu’elles sont rares. «Certes, en France, le sujet progresse, explique le professeur William Dab, qui signe l’éditorial de présentation dans le BEH, mais il reste ce constat qu’en matière de prévention, nous manquons cruellement d’enquêtes. Or, pour savoir où l’on veut aller, il faut savoir d’où l’on part. Aucune gestion des risques sanitaires au travail n’est envisageable sans mesure. Comme on dit, on ne peut gérer que ce que l’on mesure, et on ne croit que ce que l’on voit.»

«Comment faire et quoi faire ?»

William Dab, ancien directeur général de la santé, et aujourd’hui responsable de la chaire d’hygiène et sécurité du Conservatoire nationale des arts et métiers (Cnam), est l’un des meilleurs spécialistes de ces questions de risques sanitaires en France. Depuis vingt-cinq ans, il suit les avancées comme les blocages. Et son analyse est passionnante, car au fil des ans, il pointe un défaut typiquement français : dès qu’apparaît un problème, on adore le résoudre par des règlements et des normes, cela satisfait tout le monde même si dans les faits leur efficacité est douteuse. «Nous avons un déficit d’organisation qui reste très fort. Et c’est d’autant plus dommage qu’il y a une prise de conscience tant du côté des employés, que des employeurs. Ils sont d’accord pour accorder de l’attention. Mais comment faire et quoi faire ?»

Pour preuve, il en veut à l’étouffant code du travail dans son livre IV, avec ces milliers de réglementations qui concernent les employeurs. Comment faire pour s’y repérer ? «Prenez l’exemple de la prévention des chutes dans les escaliers en entreprise. En France, il y a plus de 2 000 réglementations, avec des obligations par exemple d’escalier à 25 marches. Pourquoi ? Cela n’a aucun sens. Dans les autres pays européens, c’est beaucoup plus simple, on leur demande de faire un plan de prévention, et au bout d’un temps T, on évalue les résultats. En France, on a longtemps pensé qu’il suffisait d’édicter des normes pour régler un problème.»

«Exiger des plans de prévention»

Pour autant, William Dab note que «cela bouge». En particulier avec les formations qui se multiplient, comme celle de présentateurs qui vont mesurer les expositions aux produits chimiques, ou bien celle des hygiénistes. «Ces nouveaux métiers sont très demandés dans les entreprises. Mais le problème est que nous n’avons pas une école de santé au travail, ce qui explique les retards de pratiques. Il faut développer les politiques de prévention qui reposent sur des preuves. Quand on note, comme le montre cette étude du BEH, qu’un million de femmes en âge de procréer sont exposées à des produits dangereux, alors on a des éléments pour exiger des plans de prévention.»

Et quid, alors, des politiques ? Y a-t-il une prise de conscience de la nécessité d’un pilote dans l’avion ? On a pu le croire avec la commande par le Premier ministre en janvier 2018, d’un rapport sur la santé au travail, à la députée LREM du Nord, Charlotte Lecocq. Ce travail a été rendu public fin août 2018. Il était de qualité, tout le monde a été d’accord sur les constats. Et le gouvernement, dans la foulée, a annoncé un projet de loi pour 2019. Mais, depuis ce mois d’août, rien. Tout est à l’arrêt. «Pourquoi ? Où sont les blocages ?» s’interroge William Dab. Le mal français serait-il désespérément chronique ?

ParEric Favereau

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