Algérie : «Non au mandat de la honte»

Published 25/02/2019 in Planète

Algérie : «Non au mandat  de la honte»
Lors d’une manifestation contre la candidature d’Abdelaziz Bouteflika, dimanche à Alger.

Reportage

Les avocats lundi, les étudiants ce mardi… La mobilisation persiste contre la candidature d’Abdelaziz Bouteflika, 81 ans, qui brigue un cinquième mandat d’affilée le 18 avril.

Le régime d’Abdelaziz Bouteflika n’entend pas céder à la pression de la rue. Pour la première fois depuis le début des manifestations contre la candidature du chef de l’Etat sortant à la présidentielle du 18 avril, le gouvernement s’est enfin exprimé et a cherché à temporiser. «Il y a eu un nombre important de manifestants», a admis lundi le Premier ministre, Ahmed Ouyahia, tout en renvoyant le mouvement social à l’élection à venir : «Chacun a le droit de défendre son candidat et d’être contre tout autre candidat, les urnes trancheront de manière pacifique et civilisée.»

Pas de quoi faire retomber, bien au contraire, le vent de révolte inédit qui souffle contre le président de 81 ans, affaibli par un AVC depuis 2013, mais qui brigue un cinquième mandat depuis son arrivée au pouvoir en 1999. Ce lundi, de nouvelles voix ont rejoint le mot d’ordre lancé dès le 13 février à Bordj Bou Arreridj (200 kilomètres à l’est d’Alger) et qui a conduit, vendredi, des dizaines de milliers d’Algériens dans la rue de la capitale et dans de nombreuses autres villes du pays.

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Des avocats ont tenu à exprimer lundi leur soutien à la foule qui a bravé l’interdiction de manifester dans la capitale et revendiqué le respect d’une Constitution qu’ils refusent «de voir piétinée». Au tribunal de Sidi M’Hamed à Alger, ils ont tenu dans la matinée un sit-in, répercutant le sursaut populaire, les cris de colère, le désir de reprendre leur destin en main. Derrière l’un des slogans («c’est une République, pas une monarchie !») ils ont plaidé pour la libération de la parole, le respect de la liberté d’expression et le soutien d’un «peuple en colère». «J’ai choisi d’exercer parce que je pensais que la République me permettait d’être libre, confie Toufik Issad, 29 ans. Mais on ne peut être libre sans démocratie, et la démocratie souffre en Algérie. Nous avons des opinions à exprimer et nous sommes venus le faire. L’un des plus importants principes de la démocratie est l’alternance au pouvoir. Voilà pourquoi je joins ma voix à celle du peuple.»

«Le barreau est la voix du peuple»

Près d’une centaine d’avocats ont ainsi dit tout haut le mal qu’ils pensaient du système judiciaire à travers les pancartes brandies, qui traduisaient la lassitude et la colère, l’indignation et le rêve de changement : «Non aux présentations nocturnes des justiciables», «Le barreau exige le respect des libertés», «Les avocats revendiquent un Etat de droit», «Non à la corruption et au pillage du pays, s’il vous plaît, il est temps de changer les choses». Et les slogans scandés : «Difaa sawt chaab» («Le barreau est la voix du peuple»), «La li kamaa el horiyet» («Non à la répression des libertés»), «Adala horra mostakila («Une justice libre et indépendante»), «Djazair horra democratia» («Algérie libre et démocratique»). Et enfin : «Youm el jemaa maa chaab» («Nous sortons vendredi prochain avec le peuple»).

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Ouarda Bouchakour, autre jeune avocate qui exerce depuis dix ans, d’abord à Annaba puis à Alger, résume le réveil de la société civile et de la contagion démocratique qui gagne le pays : «Nous sommes là pour dénoncer le piétinement de la Constitution et les abus de pouvoir qui se produisent sous nos yeux, pour dire non au mandat de la honte. La Constitution dit qu’un candidat doit exprimer sa volonté tout seul et non pas par procuration. Nous sommes devenus la risée de la planète.» Et d’ajouter : «Observez les affaires qui passent aux tribunaux, on voit des phénomènes complètement étrangers à notre société. Le régime seul assume cette responsabilité. En Algérie, nous avons de l’argent mais notre situation est déprimante. Il faut que les choses changent. Nous appelons seulement nos concitoyens à rester calmes et pacifiques, nous n’avons pas un pays de rechange.»

«Nous ne voulons pas le désordre»

«Le problème de l’Algérie est un problème de légitimité politique, elle n’a jamais été respectée, et ce depuis l’indépendance du pays en 1962. Et il faut repartir sur de bonnes bases démocratiques pour pouvoir changer les choses», renchérit Saad Smaine. Son confrère, Cherif Lekhlef, membre du bureau du bâtonnat d’Alger, veut croire que «le barreau appartient au peuple», qu’«il est libre et indépendant». Il résume : «Nous n’appartenons à aucun parti mais notre raison d’être est de protéger les libertés et des droits des citoyens, dont le droit de manifester pacifiquement.»

Les mobilisations commencent à faire tache d’huile. Dans la rue Asselah-Hocine, non loin du tribunal de Sidi M’Hamed, une dizaine de femmes venant de Gué de Constantine, quartier populaire du sud-est d’Alger où subsistent des poches de bidonville, se sont rassemblées devant le siège de la wilaya (préfecture). Elles ont revendiqué un logement décent : «Nous ne voulons pas le désordre, nous voulons des logements.»

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De leur côté, les universités vivent dans une ambiance électrique, depuis l’appel à manifester lancé à l’attention des étudiants au lendemain de la marche du 22 février. L’administration a bien rappelé l’obligation de demander une autorisation avant toute réunion, mais une journée d’action est prévue ce mardi. Beaucoup d’étudiants, qui ont requis l’anonymat, ne se reconnaissent pas dans le «soutien déclaré par des organisations estudiantines, dont beaucoup n’ont aucun ancrage dans l’université, en faveur de la candidature de Bouteflika». C’est le cas de représentants de onze organisations, qui ont été reçues le 17 février par Abdelmalek Sellal, directeur de campagne de Bouteflika, et ont diffusé un communiqué soutenant la candidature à un cinquième mandat du chef de l’Etat sortant.

Une déclaration signée par 29 universitaires a circulé dans la journée de lundi : «Nous devons nous engager à fournir les moyens politiques qui empêcheront que s’installe le vide qui permettra la reproduction d’un système politique usé. Notre responsabilité est de paver le chemin de la société qui trace sa voie vers la liberté et la justice, qui mettront fin, définitivement, à un système qui a produit violence et corruption.» Redouane Boudjema, qui enseigne à l’université d’Alger et signataire de l’appel, l’assure : «Les enseignants signataires soutiennent toutes les actions de cette résistance pacifique.»

ParLyas Hallas, correspondance à Alger

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