Tapie : avec Sarkozy, le Château en renfort

Published 10/03/2019 in https:2019/03/10/

Tapie : avec Sarkozy, le Château en renfort
Bernard Tapie à l’Elysée le 8 février 2008, lors de la présentation du «plan pour les banlieues» de Nicolas Sarkozy.

Récit

L’ancien président s’est montré très arrangeant avec l’homme d’affaires, lui permettant d’obtenir l’arbitrage.

Pas moins de cinquante rendez-vous, quasi mensuels : Bernard Tapie aura beaucoup vu l’Elysée sous le quinquennat Sarkozy. Certes, tous n’étaient pas liés à la décision d’entrer en arbitrage. Mais tout de même… Pointant «l’interventionnisme notoire, l’entrisme forcené» de l’homme d’affaires, l’ordonnance de renvoi en correctionnelle des juges d’instruction souligne que «toute une partie de l’appareil d’Etat» s’est mise au service de Tapie. Et pourtant, aucun membre de l’équipe Sarko ne sera poursuivi, seul Bercy portant le chapeau d’une stratégie pourtant définie en haut lieu. «Démarche validée et encouragée par la présidence de la République», écrivent-ils, mais pas décidée ou ordonnée – nuance.

Cardinal

Les principaux collaborateurs de Nicolas Sarkozy ont pourtant été interrogés. Comme Patrick Ouart, son conseiller justice : «Il n’y a pas eu d’instruction», tout juste «l’aboutissement d’un circuit plus complexe de décisions». Et surtout Claude Guéant (simple témoin assisté lors de l’enquête préalable au présent procès), alors secrétaire général de l’Elysée, qui animait les réunions consacrées au cas Tapie – parfois en sa présence : «Dans nos institutions, ce type de réunion ne peut se conclure par des décisions. Ensuite, le ministère de l’Economie a pris les responsabilités qui étaient les siennes.» Pourtant, sous l’omniprésident, un simple signe de tête de son cardinal pouvait valoir imprimatur. «Mon rôle se bornait à m’assurer que le dossier est bien pris en charge», relativise-t-il. Mais sans se risquer à une «décision».

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Stéphane Richard, alors directeur de cabinet de Christine Lagarde au ministère de l’Economie et qui servait d’intermédiaire avec le Château, renvoyé en correctionnelle, résume l’ambiguïté : «Je suis sorti d’une réunion à l’Elysée avec le sentiment qu’il y avait une orientation très forte en faveur d’un arbitrage. J’ai toujours pensé, même si je n’ai pas abordé directement le sujet avec lui, que le président de la République y était, par principe, favorable.» Les juges tournent autour du pot, évoquant des «consignes politiques explicites ou implicites, uniquement motivées par la relation personnelle entre le président de la République et l’ex-homme d’affaires». Interrogé par Libé, Tapie solde la polémique à sa façon : «Si Sarko avait pris l’affaire en main, il aurait lui-même désigné les arbitres ! Il a donné son accord, point, puis ne voulait plus en entendre parler.»

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Immunité

L’accusation en restera donc là, faute «d’actes positifs» ou de «traces écrites» de l’interventionnisme sarkozien. Avec juste quelques phrases bien senties au fil des 330 pages de l’ordonnance de renvoi en correctionnelle, à propos des «volontés du président de la République de mettre l’appareil d’Etat au service des intérêts financiers de Bernard Tapie». A la différence de ses anciens collaborateurs, qualifiés de «courroie de transmission», Nicolas Sarkozy est couvert par l’immunité présidentielle. Mais pas en tant qu’ancien ministre du Budget. Les juges d’instruction auraient donc aimé l’entendre sur une précédente tentative de médiation entre Tapie et le CDR (Consortium de réalisation, organisme chargé des casseroles du Crédit lyonnais), en 2004, qu’il avait impulsée. Mais il refusera de comparaître, fût-ce comme simple témoin. Les magistrats se contenteront de ce petit rappel : «Force est de constater que ces tentatives de résolution “transactionnelle” du litige avaient lieu à chaque fois que Nicolas Sarkozy, appuyé par ses collaborateurs Claude Guéant ou François Pérol, était en position d’imposer un choix à Bercy, d’abord comme ministre, puis après son élection à la présidence de la République.»

ParRenaud Lecadre

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