Le Néolithique, aube de la crise écologique ?

Published 27/02/2019 in https:2019/02/27/

Le Néolithique, aube de la crise écologique ?
Peinture rupestre dans le désert du Tassili N’Ajjer (Algérie).

Analyse

Avec la diffusion de l’agriculture et l’apparition des Etats, la fin de la Préhistoire a longtemps été perçue comme le début des progrès de l’humanité. Mais, à l’heure du réchauffement climatique, se dessine un portrait plus nuancé de cette période marquée par de grands défrichements et la naissance des inégalités.

Le Néolithique, ce n’est pas qu’une histoire de cailloux. Certes, le mot signifie «pierre récente» (Homo sapiens sait alors la polir), par opposition à la simple pierre taillée du Paléolithique. «Le terme n’est pas très funky», confirme l’archéologue Jean-Paul Demoule, spécialiste de cette période qui débute vers 9 500 ans avant notre ère. Il ne rend pas non plus justice aux nombreuses transformations de la période. «Tout le monde connaît les hommes préhistoriques et les Gaulois, mais personne ne connaît les 10 000 ans qui se trouvent entre les deux et qui ont tout changé», explique Demoule, qui pèse ses mots : dans le monde entier, les chasseurs-cueilleurs se sédentarisent peu à peu. La domestication de plantes et d’animaux s’amplifie, l’agriculture se diffuse. Conséquence : la population augmente, les villes et les Etats naissent puis se développent, l’écriture permet de les administrer, des chefs apparaissent, les sociétés deviennent plus inégalitaires, les guerres se font plus nombreuses… Bref, l’humanité telle que nous la connaissons trouve là une bonne partie de ses fondamentaux, pour le meilleur et pour le pire. Si le meilleur a longtemps été privilégié – l’agriculture marquant le début d’un progrès infini de l’humanité -, philosophes, historiens ou géographes opèrent désormais une relecture un peu moins flatteuse, en écho avec notre présent, le changement climatique, les risques écologiques et la crise démocratique.

Liberté des barbares

En matière de politique, l’anthropologue américain James C. Scott s’attaque dans Homo domesticus au récit d’un progrès néolithique qui conduirait automatiquement de l’agriculture aux Etats pour le plus grand bien des humains. En montrant la fragilité de cette forme de gouvernement et en insistant sur la liberté des «barbares» qui vivent hors de son influence, cet intellectuel anarchiste suggère que la généralisation (tardive) du modèle de l’Etat n’avait rien d’inéluctable, laissant la porte ouverte à d’autres formes d’organisation. Pour le géographe Michel Lussault, qui prépare avec Jean-Paul Demoule une exposition sur le Néolithique pour le musée des Confluences de Lyon, la thèse permet de réfléchir aux formes actuelles du bon gouvernement. «Scott soutient que nous aurions pu rester chasseurs-cueilleurs, et c’est pour moi la limite de son hypothèse. Mais il permet aussi de voir que l’Etat ne peut répondre à tous les besoins de la vie en société»,explique Michel Lussault, qui appelle à diversifier les modes d’administration de la chose publique : «Il faut créer collectivement une société spatialisée du local au monde, où on peut être à la fois barbare, gouverné localement et administré par l’Etat», indique-t-il. L’objectif : s’affranchir de cadres trop contraignants afin de gagner en efficacité et en adaptabilité face aux enjeux du changement climatique.

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«Nature-culture»

Car c’est surtout avec les enjeux écologiques que résonne aujourd’hui cette période clé de la Préhistoire, puisque le progrès agricole a conduit au défrichement de la forêt et à la sélection d’espèces animales et végétales. Dans Cataclysmes. Une histoire environnementale de l’humanité (Payot), le journaliste spécialisé Laurent Testot décrit une période où la croissance démographique se fait au prix de dégradations systémiques de l’environnement. Le biologiste Stéphane Durand, directeur de la collection «Mondes sauvages» chez Actes Sud, y voit un prélude aux destructions contemporaines des écosystèmes : «Paradoxalement, il est possible que le début du Néolithique ait favorisé la biodiversité car l’apparition de milieux ouverts a pu attirer des animaux. Le problème, c’est qu’ensuite on est allé de plus en plus vite, de plus en plus grand, à un rythme devenant insoutenable pour la plupart des espèces.» A ses yeux, le Néolithique importe moins pour les premières destructions qui s’y produisent que pour le changement qui s’opère dans l’esprit d’Homo sapiens : «C’est le début de la séparation nature-culture, d’une mise à distance des nuisibles, des mauvaises herbes, des carnivores prédateurs. C’est l’émergence d’une pensée excluante des êtres vivants non domestiques et non humains», explique-t-il.

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L’argument conduit des chercheurs à faire du Néolithique le point de départ de l’anthropocène, l’ère géologique actuelle où l’humain influence les grands cycles géologiques et climatiques. Ils s’appuient sur le constat que les activités humaines auraient alors évité à la planète la période de refroidissement qu’elle aurait dû connaître si seules les dynamiques «normales» du système planétaire avaient joué. Mais Lussault pointe les limites de cette hypothèse d’un anthropocène précoce : «Certes, les actions humaines ont eu des effets systémiques, d’échelle globale. Mais il paraît douteux que les humains aient alors eu conscience de l’effet global de leur action.» Il estime que cette ère géologique commence vraiment lorsque le terme d’anthropocène, utilisé pour la première fois par Paul Crutzen dans les années 2000, devient un sujet de préoccupation majeure, signe que la prise de conscience est actée.

«Horizon stimulant»

S’il nous permet de saisir les symptômes de nos problèmes, le Néolithique nous aidera-t-il aussi à trouver des solutions ? En matière d’écologie, c’est possible. L’hypothèse retient l’attention de la philosophe de l’environnement Virginie Maris, auteure de l’essai la Part sauvage du monde (Seuil, 2018) : «S’interroger sur la façon dont la nature non humaine pouvait se développer dans un monde non saturé d’humains, c’est un horizon stimulant pour lancer des projets de conservation.» La chercheuse y voit un moyen de dépasser une approche focalisée sur la protection des espèces pour s’intéresser au fonctionnement plus global des écosystèmes, capables d’accueillir un très grand nombre de plantes et d’animaux. «Cette capacité de charge des milieux est beaucoup plus élevée que ce que l’on imagine», affirme-t-elle, appelant à amplifier les efforts.

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Mais pas question évidemment de revenir au Néolithique, qui fait plutôt figure de point de comparaison que les humains du XXIe siècle ont un peu perdu de vue. Dans son livre 20 000 Ans ou la grande histoire de la nature (Actes Sud, 2018), Stéphane Durand s’emploie à nous rafraîchir la mémoire en décrivant la richesse de la flore et de la faune de France avant que les humains ne s’y attaquent… et avec laquelle on peut renouer : «On peut retrouver certaines abondances, certaines fonctionnalités des écosystèmes. Par exemple, plutôt que les détruire et les canaliser, il faut laisser les forêts et les rivières faire leur travail car elles stockent le carbone de l’atmosphère, régulent la circulation des sédiments… sans compter les bénéfices en matière d’écotourisme», plaide l’auteur. Vaste programme pour tâcher de sauver le petit rocher qui nous sert de planète. Encore une histoire de caillou.

ParThibaut Sardier

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