L’homophobie dans le sport, un héritage historique

Published 17/05/2019 in Sports

L’homophobie dans le sport, un héritage historique
Yoann Lemaire, joueur de football homosexuel, victime de discriminations, à Vireux-Wallerand (08), en décembre 2017.

Sociosports

Seghir Lazri travaille sur le thème de la vulnérabilité sociale des athlètes. Dans cette chronique, il passe quelques clichés du sport au crible des sciences sociales, ou comment le social explique le sport, et inversement.

D’autant plus présente récemment avec les déclarations de la ministre des Sports à l’encontre des supporteurs du dernier PSG-OM, la question de l’homophobie dans le sport devient centrale, tant elle se rapporte à la fois au public, mais aussi aux sportifs eux-mêmes. Concernant ces derniers, le reportage de Yoann Lemaire, récemment diffusé sur France 2, revient sur le tabou de l’homosexualité dans le football. Dès lors, posons-nous cette question : sur quoi se reposent l’homophobie et ce tabou de l’homosexualité dans le sport en général ?

L’héritage masculiniste

Comme l’énonçait le sociologue Sylvain Ferez, le sport moderne s’est constitué dans un mouvement profondément hétérosexuel. En effet, en s’appuyant sur les travaux d’autres sociologues comme Jean-Michel Faure et Charles Suaud, le chercheur Sylvain Ferez nous rappelle que le sport moderne traduit une activité où le corps est «désexualisé» et où son usage, inscrit dans une perspective très utilitariste, est à la fois «juste et efficace». Cette désexualisation du corps a implicitement pour effet de performer une «virilité froide et pragmatique», excluant de fait, l’homosexualité.

Néanmoins le nouveau champ de recherche sur les masculinités émergeant dans les années 80, dans le monde anglo-saxon, nous apporte de nouveaux éléments de compréhension quant à la constitution du sport comme activité hétérosexiste. Pour les sociologues canadiens Jim McKay et Suzanne Laberge, le sport moderne apparu dans la haute société bourgeoise britannique, au travers notamment de ses institutions éducatives, a promu en son cœur, une masculinité dite «hégémonique». En reprenant ici le concept de la sociologue australienne Raewyn Connell, les deux sociologues canadiens sous-entendent que le sport propose un éthos masculiniste fondé sur la rudesse, l’esprit de compétition, la marginalisation des femmes et surtout l’exclusion des gays. Cette hégémonie masculiniste perdurera dans l’histoire du sport, selon les sociologues, car le corps masculin a été pleinement associé au corps performant, c’est-à-dire au corps capable de l’exploit, donc au corps véritable, reléguant le corps féminin et tout autre corps apparenté à un manque de masculinité hétérosexué à un registre inférieur.

Par ailleurs, si l’on ajoute à cette analyse l’idée que le sport s’est aussi inscrit dans une politique hygiéniste à la fin du XIXe où l’homosexualité était apparentée à une pathologie, le domaine sportif est devenu un espace efficace du rejet de toute forme d’homosexualité.

L’opacité sportive comme raison du tabou

Si le tabou de l’homosexualité est toujours présent, c’est parce que cette morale masculiniste associant en particulier, la faiblesse physique des hommes à une non-hétérosexualité, est toujours présente dans l’idéologie sportive. En se fondant sur les travaux en psychologie du sport, on peut rapidement comprendre que l’accès à une formation sportive correspond en réalité à l’entrée dans une idéologie sportive, avec l’incorporation par l’individu de normes et de valeurs propres à ce milieu. Ainsi, comme le rappelle le psychologue du sport Marc Lévêque, l’arrivée dans le monde de l’élite sportive offre au futur athlète une nouvelle représentation du monde et un nouvel usage de son corps, mais aussi un nouvel enfermement conceptuel, puisque l’adhésion repose sur une foi aveugle envers les institutions et les valeurs qu’elles transmettent.

Sur ce point, une autre psychologue du sport, Claire Carrier, qui s’est longuement intéressée à la formation des jeunes athlètes, insiste sur le fait que cette entrée dans la sphère du haut niveau, de par sa dimension sacrée, s’apparente à un rite de passage, impliquant pour le futur champion, un rejet des représentations sociales antérieures, considérées comme étrangères au monde du sport et donc profanes. De ce fait, les aspects à la fois hypersélectifs et concurrentiels de la formation sportive, ainsi que la précarité des carrières de plus en plus accrue dans certaines disciplines (le football en particulier) tendent essentiellement à maintenir cette idéologie sportive, notamment par une forme de mutisme et une pleine acceptation des normes hétérosexistes encore présentes actuellement dans le sport.

Solution : mettre les femmes en avant

D’autres travaux, comme ceux d’un groupe de chercheurs en sport composé d’Anthony Mette, d’André Lecigne, de Lucie Lafont et de Greg Décamps, portant sur l’attitude des sportifs français envers les homosexuels, renvoient à cette dimension décisive de la formation sportive. Pour ces psychologues, c’est auprès des jeunes sportifs que l’on retrouve les manifestations les plus négatives envers les homosexuels, soulignant par là la forte assimilation de l’éthos et de ses représentations hétéronormées. Mais ces études mettent aussi en lumière un élément important qui est que si les hommes semblent mieux «se conformer aux normes», l’acceptation de l’homosexualité par ces derniers est plus grande «au sein des pratiques majoritairement investies par des femmes». Dès lors, la mise en avant effective de la place des femmes dans certains sports concentrant une majorité d’hommes ne serait-elle pas une des meilleures solutions pour à la fois se défaire des représentations sexuelles et sexuées, et surtout mieux lutter contre l’homophobie ?

En renvoyant l’appartenance homosexuelle à une vulnérabilité du corps, le sport apparaît aux premiers abords comme un espace homophobe, où les prises de paroles et les coming out sont assez risqués. Par conséquent, c’est aux institutions sportives de par la structuration et la formation qu’elles proposent, de repenser les discriminations, et d’agir le plus tôt possible afin de défaire certaines représentations, et d’accorder une pleine reconnaissance et une grande protection à toutes et tous les athlètes.

ParSeghir Lazri

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