Maladie de Lyme : ça tique sur le diagnostic

Published 06/05/2019 in https:2019/05/06/

Maladie de Lyme : ça tique sur le diagnostic
La bactérie responsable de la maladie de Lyme se transmet à l’homme par une tique, souvent en forêt.

Santé

Une étude sur la pathologie déclenchée par une piqûre de tique relance la bataille entre médecins, infectiologues, associations de malades… Certains crient à la non-reconnaissance d’une maladie chronique, d’autres évoquent une confusion avec des symptômes courants, comme la fatigue.

La guerre du Lyme serait-elle une fois de plus relancée ? L’actualité, c’est cette étude publiée ce mardi dans le Bulletin épidémiologique hebdomadaire, qui fait état d’une inflation de mauvais diagnostics. Mais cela fait de toute façon plusieurs semaines que les esprits s’échauffent de tous les côtés. Les tensions réapparaissent de plus belle, y compris au sein du monde médical, où l’on voit même la Haute Autorité de santé (HAS) s’affronter avec la Société savante d’infectiologie.

Symptôme de cette poussée de température, l’action menée par quelques militants de l’association Le droit de guérir : il y a un mois, s’inspirant des actions des militants d’Act Up dans les années 90, un petit groupe de malades a déversé des litres d’un liquide rouge sur les murs de l’Etablissement français du sang à Paris. Objectif ? Dénoncer la non-reconnaissance de la maladie de Lyme, qui se transmet, selon eux, aussi par transfusion sanguine. «On en a marre, cela suffit, nous dit le président fondateur, Matthias Lacoste. On perd du temps, or on n’a pas le temps. Il y a de nouveaux malades qui ne sont pas soignés.» Et de préciser à destination de ceux qui font le parallèle avec Act Up : «Nous sommes face à un scandale sanitaire avec un sida bactérien que les autorités ne veulent pas voir. On ne veut plus se laisser faire.» Rien de moins. Pour rester dans la mesure, disons que la maladie de Lyme génère des situations éprouvantes voire désespérantes pour des malades qui se retrouvent en errance diagnostique – un jour diagnostiqués Lyme, un autre catalogués dépressifs, un autre atteints de polyarthrite.

Discorde

Reprenons. La maladie de Lyme, c’est quoi ? La bactérie responsable est une borrélie, plus précisément Borrelia burgdorferi. Elle se transmet à l’homme par une tique, bien souvent en forêt. Les borrélioses existent depuis longtemps et sont relativement bien connues. Mais celle de Lyme a une histoire très spécifique. Elle tire son nom de la ville de Lyme, dans le Connecticut (Etats-Unis), où elle a pour la première fois été suspectée vers 1975. Le point de départ : deux femmes dont les enfants avaient été diagnostiqués victimes d’une forme d’arthrite rhumatoïde ont observé que de nombreux autres gamins de leur commune présentaient des troubles similaires. Les épidémiologistes ont alors soupçonné une maladie infectieuse qu’ils ont nommée «arthrite de Lyme», puis maladie de Lyme.

Voilà donc une maladie avec une cause : une bactérie. A priori rien de paniquant car il existe des antibiotiques pour soigner les infections bactériennes. Sauf que, «avec Lyme, nous avons un souci de diagnostic biologique, explique le professeur Olivier Lesens, chef de service à l’hôpital de Clermont-Ferrand, car les tests sont complexes. Ils ne sont pas toujours fiables. On retrouve ainsi des anticorps de la bactérie qui ne sont pas toujours exploitables. Et quand on en trouve, cela ne veut pas dire que la personne est malade.» Et de rappeler le déroulé de l’infection : «Dans la forme aiguë, nous avons des symptômes qui sont bien identifiés, comme l’apparition d’un érythème sur la peau. Ce n’est pas très grave, nous avons alors un traitement antibiotique, avec de très bons résultats.»

Mais voilà, il pourrait exister une forme de la maladie de Lyme qui perdure, avec des symptômes franchement subjectifs cette fois : de la fatigue, des douleurs squelettiques. Des symptômes difficiles à diagnostiquer car très fréquents dans la population générale. «Aujourd’hui, il y a foule de personnes avec ces symptômes subjectifs qui affirment avoir une maladie de Lyme, poursuit Olivier Lesens. Et leur discours est sans nuance : ils disent “Si j’ai des symptômes, c’est parce que la bactérie persiste.”» Résultat, certains médecins, très critiqués par les infectiologues, vont les traiter pendant des mois et des mois avec des cocktails antibiotiques. «C’est véritablement n’importe quoi», dit à l’unisson le milieu de l’infectiologie.

On en était donc là. Avec ce point de conflit récurrent : y a-t-il ou pas une forme chronique de la maladie qui échappe aux standards cliniques officiels ? C’est alors qu’en juin 2018, après un très long travail d’élaboration avec plus d’une trentaine de sociétés savantes, la Haute Autorité de santé émet, comme le lui avait demandé la ministre, des recommandations de prise en charge. Et la HAS se montre «diplomate» et «ouverte». Elle reconnaît non pas une forme chronique, mais parle de «syndrome persistant polymorphe après une possible piqûre de tique» (SPTT). «Comment nier la réalité de ces patients qui souffrent, mais qui n’entrent pas dans le cadre classique de la maladie de Lyme ? Nos recommandations sont là pour donner un cadre de prise en charge», nous disait alors la présidente de la HAS, la professeure Dominique Le Guludec.

Des propos mesurés. Mais c’en était déjà trop. Vingt-cinq sociétés savantes au premier rang desquelles la Société de pathologie infectieuse de langue française (Spilf) ont aussitôt désavoué le texte, perçu comme une injure faite à la science. Pourtant partie prenante du groupe de travail de la HAS, les infectiologues ont tous rejeté avec virulence la notion de SPPT. Résultat, une situation ubuesque, avec guerre déclarée entre experts. Et le président de la Spilf, le professeur Pierre Tattevin, de se lâcher : «La HAS a voulu être avec tout le monde, aussi bien avec “les Lyme-docteurs”, qui sont des gens particuliers, qu’avec les sociétés savantes. Quand on a vu la version finale, on a refusé de la signer.»

En septembre, c’est le professeur Jérôme Salomon, directeur général de la santé, pourtant signataire des premières recommandations et longtemps président du groupe de travail sur Lyme, qui remue les braises en adressant un courrier au président de la Spilf… pour lui demander de travailler sur de nouvelles recommandations. Drôle d’initiative, car il le fait sans prévenir la HAS, marquant de ce fait un désaveu inédit à l’égard de l’autorité indépendante.

La discorde est longtemps restée secrète. Elle n’a été rendue publique que le 3 avril, quand une commission du Sénat a auditionné tous les acteurs autour de la maladie de Lyme – les associations, la direction générale de la santé, la HAS, mais aussi la Spilf. «On a travaillé de notre côté, nous a expliqué le professeur Tattevin. On a rédigé un nouveau texte, et on vient de finaliser nos recommandations.» Se révèlent-elles très différentes de celles de la HAS et, en particulier, laissent-elles ouverte la porte à une forme chronique ? «Non. Ce n’est pas encore officiel, mais nous ne laissons pas ouverte la porte aux dérives, et on ne peut pas laisser la possibilité de donner des antibiotiques pendant des mois.»

Tolérance

Que va-t-il se passer ? Deux types de recommandations officielles ? Au Sénat, laissant de côté son agacement vis-à-vis de la direction de la santé, la professeur Dominique Le Guludec a rappelé la situation : «Il existe dans cette maladie des questions scientifiquement encore non résolues. Nous disons que certaines personnes ont des signes polymorphes qui persistent. En l’état actuel des connaissances, nous ne savons pas si c’est lié à la maladie de Lyme ou à d’autres agents pathogènes, ou à d’autres maladies.» Et d’ajouter : «Même si les incertitudes sont réelles, tous les patients doivent êtres pris en charge. Et donc, nous avons recommandé la création de centres pour éviter les errances. On n’a ni infirmé ni confirmé une forme chronique.»

Lors de son audition au Sénat, le professeur Jérôme Salomon a pour sa part fait marche arrière. S’il a bien confirmé avoir demandé à la Spilf de travailler sur des «recommandations pratiques et consensuelles», le directeur général de la santé a réclamé davantage d’écoute et de tolérance pour les cas les plus complexes. «Les histoires d’errance thérapeutique pendant plusieurs mois doivent cesser le plus vite possible. Dans le courant du mois de mai, cinq centres nationaux de référence seront désignés par un jury. Ils seront chargés d’accueillir les cas de SPPT qui font actuellement polémique.» Et il a invité à l’apaisement : «Tout doit être fait pour en finir avec les procès d’intention, les guerres d’egos, les postures. Je veux de la science, je veux de la sérénité.»

Certes, mais cela suffira-t-il pour allumer le calumet de la paix ? On en est loin. La Spilf ne veut pas en démordre. Eric Caumes, chef de service à la Pitié-Salpêtrière, rédacteur du texte de la Spilf et auteur de l’étude du Bulletin épidémiologique hebdomadaire, fulmine : «A part quelques obscurantistes, tout le monde pense la même chose en France. Le vrai scandale, c’est la non-prise en charge correcte des troubles psychosomatiques. C’est ça le vrai problème, tous ces malades en grande souffrance morale et physique et renvoyés de médecin en médecin…»

De l’autre coté, agacée par ces postures, la Fédération française contre les maladies vectorielles à tiques, qui comprend trois associations de patients, vient d’écrire au président de la République pour obtenir des éclaircissements. Elle réclame la création d’une Agence nationale des maladies vectorielles à tiques. Quant à l’association Le droit de guérir, elle prépare pour sa part d’autres actions, «pour en finir avec le statu quo».

ParEric Favereau

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