Climat : «L’activisme de Greta Thunberg a remobilisé la rhétorique de l’extrême droite»

Published 25/05/2019 in Uncategorized

Climat : «L’activisme de Greta Thunberg a remobilisé la rhétorique de l’extrême droite»
Greta Thunberg lors d’une manifestation à Rome, le 19 avril.

Le fil vert

La campagne des élections européennes a été l’occasion pour l’extrême droite européenne de multiplier les attaque contre les défenseurs de l’environnement.

Jusqu’au 26 mai, le Fil vert, le rendez-vous environnement de Libération, se teinte de bleu à l’occasion des élections européennes.

Durant trois mois, l’Institute for Strategic Dialogue (ISD), basé à Londres, a mené un projet d’investigation sur les stratégies de l’extrême droite en Europe, à l’occasion du scrutin qui se termine dimanche. Cécile Guerin, journaliste et chercheuse à l’ISD a répondu aux questions de Libération.

Quelles ont été les principales conclusions de vos recherches?

A l’aide d’outils d’analyse des réseaux sociaux, nous avons rapidement identifié les multiples attaques contre Greta Thunberg, la jeune militante suédoise pour le climat, comme un phénomène important dans la rhétorique de l’extrême droite, en Europe de l’Ouest.

Le cas français est assez inédit. Alors qu’officiellement, le Rassemblement national a intégré une certaine vision de l’écologie, tournée vers le local, dans son programme, des représentants et élus du parti, ainsi qu’une partie de la fachosphère, diffusent des propos anti-Greta, climatosceptiques et anti-environnement. En Allemagne, l’AfD, et au Royaume-Uni, l’UKIP, eux, sont engagés de manière publique dans des discours de déni de la réalité du dérèglement du climat. L’émergence de Greta Thunberg a fourni à l’extrême droite une figure autour de laquelle cristalliser les critiques.

Cette stratégie est-elle nécessaire pour eux, car les discours climatosceptiques ne convainquent plus en Europe ?

Nous pouvons l’expliquer ainsi. Le fait que la Suédoise soit une femme et qu’elle soit atteinte du syndrome d’Asperger a été utilisé pour la discréditer et critiquer tout le mouvement écologiste avec. Les publications de l’AfD sur le changement climatique ont triplé au cours de l’année passée, ce qui coïncide avec l’émergence de Greta Thunberg en tant que personnalité publique. Dans une stratégie qui apparaît clairement coordonnée, les candidats du parti ont partagé des caricatures grossièrement déformées de Thunberg, qui attaquent son handicap.

Par exemple, le 31 mars, le fondateur allemand du mouvement d’extrême droite Pegida, Lutz Bachmann, a publié une photo montée de la jeune femme sur sa chaîne Telegram avec le message : «La retardée mentale Greta a-t-elle déjà reçu un prix aujourd’hui ou cela prendra encore du temps ?»

Au Royaume-Uni, des communications officielles du parti pro-Brexit Ukip décrivent la Suédoise comme une «éco-morveuse» (eco-brat) et attaquent ces activités. De même en Belgique, le Parti populaire poste sur Facebook beaucoup de messages anti-Thunberg sans publier beaucoup sur le thème du changement climatique.

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Vous avez aussi pu identifier des liens entre certains partis et des instituts climatosceptiques américains ?

En partenariat avec Greenpeace, on a mis en évidence des liens entre l’AfD et le think tank climatosceptique European Institute of Climate and Energy (Eike), lequel a des connexions avec les réseaux ultra-conservateurs aux Etats-Unis, notamment le Heartland institute, et l’US Comittee for constructive tomorrow. Ces deux derniers organismes sponsorisent la conférence annuelle sur le climat de l’Eike. Son président, Michael Limburg conseille le porte-parole sur l’environnement de l’AFD, Karsten Hilse. Les financements des deux organismes américains restent opaques. Mais il est de notoriété publique qu’ils ont historiquement reçu des financements de grandes entreprises pétrolières comme Exxon Mobil.

Observe-t-on des campagnes de désinformation coordonnées en France ?

Dans l’Hexagone, les liens sont plus difficiles à identifier. Il semble que la rhétorique est reprise et diffusée sur les réseaux sociaux sans stratégie calculée. Le cas du passage de Claire Nouvian dans l’émission de Pascal Praud, le 6 mai, illustre cela.

Dans les 24 heures qui ont suivi l’émission, 953 tweets ont mentionné le hashtag #ClaireNouvian, et 526 comprenaient le mot «folle». Le deuxième URL le plus partagé en lien avec Claire a été un message du compte Twitter se décrivant comme «patriote» @adrenaline1001, qui a publié: «Clash! Détestable #ClaireNouvian qui n’arrête pas de crier et ne laisse pas la parole à #ElizabethLevy… sous prétexte qu’elle n’accepte pas les climatosceptiques! #PascalPraud tente de la calmer, en vain… une vraie folle écolo aux yeux exorbités», accompagné de captures d’écran ridiculisant la femme politique.

De plus, Jean Mehissa, membre du bureau national du RN a décrit Nouvian comme une représentante de la «secte hystéroclimatique» sur le même réseau social.

Greta Thunberg est-elle considérée comme une menace par l’extrême droite ?

Les discours climatosceptiques ont toujours existé en toile de fond des discussions au sein de l’extrême droite. L’activisme de Thunberg a remobilisé cette rhétorique, plus ancrée en Europe qu’on ne l’imaginait. Ces derniers mois, la Suédoise a reçu un soutien actif de beaucoup de politiques à travers le continent. Cela a permis facilement à l’extrême droite de reprendre leurs théories sur l’existence d’une «religion du climat», au centre d’une hystérie collective et d’un culte autour de Thunberg qui imprégnerait la sphère politique mainstream.

On observe clairement une perméabilité des discours et des tactiques entre les partis d’extrême droite européens. L’AfD est un cas d’école. Mais les mots-clés «religion du climat», «culte du climat» se retrouvent aussi dans la fachosphère française.

ParAude Massiot

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