Negzzia, portée au nu

Published 13/06/2019 in Mode

Negzzia, portée au nu
Negzzia à Paris, le 4 juin.

portrait

Cette mannequin iranienne, très suivie sur Instagram et obligée de fuir son pays après des photos déshabillées, a obtenu en France son statut de réfugiée.

Le conte de fée médiatique a parfaitement fonctionné. Vendredi dernier, Negzzia, un pseudo, car elle préfère garder secret son vrai nom, a reçu la bonne nouvelle par la poste. Un courrier de l’Ofpra, l’Office français de protection des réfugiés et apatrides, où on peut lire ceci : «La qualité de réfugié est accordée à Mme X.» Voilà la jeune femme de 29 ans autorisée à rester sur le territoire français pour au moins dix ans. La décision a été rapide. Un soulagement. A peine quelques jours plus tôt, elle avait eu un entretien de deux heures et demi avec une agente de cette administration. «Ça s’est bien passé, avait dit l’Iranienne, dans le bureau de son avocat dans le VIIe arrondissement de Paris. Enfin, j’espère.»

Début mai encore, la mannequin, obligée de fuir son pays pour des photos dénudées et vivant dans la rue à Paris, était une inconnue. Mais après plusieurs papiers enthousiastes dans la presse, sa notoriété a bondi. Jusqu’à ce que Christophe Castaner en personne tweete le 2 juin : «L’asile lui sera naturellement proposé. L’Ofpra me l’a confirmé. Ses services sont en contact avec elle, son dossier examiné avec l’attention bienveillante due à sa situation.» Découvrant ainsi la bonté d’âme du ministre de l’Intérieur, on espère qu’il sera aussi diligent avec les centaines de personnes qui dorment sous le périph, porte de la Chapelle à Paris.

Pour Negzzia, l’histoire semble être un film qui se terminerait sur un happy end. Elle s’en est enthousiasmée sur Instagram, multipliant les messages à ses 123 000 abonnés. Des grandes phrases, toutes faites, mais respirant l’émotion : «Quoi qu’il se passe, je n’ai aucun regret parce que tout ce que j’ai fait me fait me sentir plus proche de mes rêves de jeune fille. Merci de me donner la chance de me sentir de nouveau vivante.» Ou : «Parfois, tu dois tomber avant de voler.»

Le jour où on la rencontre, la séance photo a déjà commencé. Carré épais noir corbeau, tee-shirt blanc moulant et jean bleu taille haute, elle s’amuse en marchant dans la rue, prenant des poses de mannequin. Loin de ce qui est demandé d’ordinaire aux gens qui se retrouvent dans cette page Portrait. Il en faudrait plus pour l’intimider. Face à nous, elle enchaîne les anecdotes, déroule son propos. La jeune femme dit qu’elle a toujours cru en elle, qu’elle sait qu’elle est une «princesse. Tout le monde est un prince et une princesse».Convaincue de pouvoir accomplir tous ses rêves, elle tient un discours autoréalisateur qui, manifestement, fonctionne. L’Iranienne se moque de notre scepticisme général. Elle affiche une confiance à couper la Seine en deux et à marcher fièrement, au milieu, comme si elle défilait pour un grand couturier.

Sur son corps tatoué, elle a inscrit à l’encre ses convictions, en farsi. A chaque doigt de la main gauche, un message. «Dieu» sur le petit doigt, en qui elle croit sans avoir de religion définie. Le signe de l’amour sur l’auriculaire, ou encore un lotus dessiné sur l’index. Elle s’identifie à cette fleur, «si belle alors qu’elle pousse dans l’eau sale». Sur son dos, un œil, pour rappeler à ceux qui se cachent pour la critiquer qu’elle les observe. En ce moment, au vu de sa récente médiatisation, ça fuse. Surtout dans la communauté iranienne parisienne dont certains n’aiment pas trop voir cette fille surgir de nulle part. D’ailleurs, elle tient à avoir le moins possible de contacts avec eux. «Elle a envie de s’en sortir par elle-même, elle ne veut pas être à la solde de quiconque», confirme l’avocat Sahand Saber, qui la défend pro bono.

Negzzia n’avait jamais prévu de quitter l’Iran, un pays où elle pense désormais ne plus pouvoir revenir. Elle ne prend même plus le temps de critiquer le gouvernement en place. Elle considère que cette vie est derrière elle. La Téhéranaise y était pourtant heureuse après avoir grandi dans une famille plutôt libérale. Enfin, c’est principalement le cas de son père, ingénieur, qui la soutient encore. Sa mère, elle, ne lui adresse plus la parole depuis qu’elle a appris que sa fille avait perdu sa virginité. Au départ photographe, elle en vient à poser de plus en plus souvent pour des magazines de mode, parfois échangés sous le manteau dans un pays où la jeunesse dorée s’amuse et s’affiche sur les réseaux sociaux tandis que la majorité de la population reste tenue par les préceptes les plus religieux. Après avoir découvert le nu, et être tombée amoureuse de cette liberté, elle se montre dévêtue. L’un de ses photographes est attrapé un jour dans une rafle. Elle craint qu’il la balance. Risquant d’être arrêtée et peut-être fouettée, elle préfère prendre les devants et s’enfuir à Istanbul.

Sur son compte Instagram, on peut voir ses seins, recouverts de peintures bleues et blanches, mi-érotique, mi-militante à la Femen. Negzzia récuse pourtant les deux registres. «Je veux pouvoir montrer mon corps comme je l’entends sans que cela soit considéré comme sexuel», dit-elle, ne se voyant pas non plus comme une porte-voix féministe. Elle s’agace de ceux qui la traitent de prostituée ou de ceux qui lui proposent de l’aide pour mieux coucher avec elle. Sa fierté ? Ne jamais s’être allongée pour s’en sortir. Elle le redit plusieurs fois. Ce qui ne l’empêche pas de parler librement de sexe. Elle a posté une photo d’une grosse boîte en carton avec écrit en anglais dessus : «Les histoires de mes faux orgasmes.» Et, en commentaire : «Ne simulez jamais vos sentiments.[…] Si vous voulez vous faire respecter, respectez-vous vous-mêmes. Donc la prochaine fois dites-lui : “J’ai envie de jouir, connard !”»

C’est en écoutant une chanson de Jacques Brel, «Ne me quitte pas», que l’amatrice de jazz décide de rallier Paris. La capitale a encore cette image d’accueil des artistes et des intellectuels du monde entier. Surtout, Negzzia en a assez d’Istanbul, ville qu’elle trouve trop rétrograde en dehors de quelques quartiers. Elle suit un contact qui lui fait croire qu’il pourra la loger sur place et lui trouver des défilés. Erreur, ses intentions sont toutes autres. A court d’argent, Negzzia se retrouve à la rue. Elle ne peut plus se payer un repas mais continue de faire du sport, chaque jour, pour entretenir son corps, passeport pour une vie plus aisée. Sinon, dès le petit matin, elle se faufile dans le métro, va d’un bout de ligne à l’autre, pour sommeiller au chaud. Elle côtoie les abandonnés de la cité et se promet que le jour où elle sera riche, elle financera une association pour aider à la réinsertion des SDF. En ce moment, elle réside en banlieue, chez des connaissances. Elle espère vite trouver un appartement car elle déteste avoir l’impression de déranger. Avec l’obtention de son statut de réfugiée, elle va pouvoir travailler. Elle est persuadée qu’elle trouvera des opportunités intéressantes dans la mode, le cinéma, la photo. C’est sûr, tout va bien se passer. Après tout, c’est une «princesse».


9 février 1990 Naissance. 19 juin 2017 Fuit l’Iran et arrive en Turquie, à Istanbul. 4 octobre 2018 Arrive en France. 7 juin 2019 Obtient son statut de réfugiée.

Edit du 14 juin: Correction d’une erreur dans la date du tweet de Castaner et ajout de la mention «tout le monde est un prince ou une princesse».

ParQuentin Girard photo Marie Rouge

Print article

Leave a Reply

Please complete required fields