Accostage du «Sea Watch III» à Lampedusa : Carola Rackete, arrêtée mais célébrée

Published 30/06/2019 in https:2019/06/30/

Accostage du «Sea Watch III» à Lampedusa : Carola Rackete, arrêtée mais célébrée
Capture d’écran d’une vidéo publiée par l’agence Local Team le 26 juin 2019, montrant le «Sea Watch III» en train de se diriger vers l’île de Lampedusa.

Récit

La capitaine du «Sea Watch III», navire transportant une quarantaine de migrants, a été arrêtée samedi après avoir accosté de force à Lampedusa. Elle risque jusqu’à dix ans de prison.

Quelques jours avant d’accoster à Lampedusa, elle avait dit au Spiegel : «Si nous ne sommes pas acquittés par un tribunal, nous le serons dans les livres d’histoire.» La capitaine allemande du Sea Watch III, navire affrété par l’ONG Sea Watch qui vient en aide aux migrants en Méditerranée, Carola Rackete, a été arrêtée dans la nuit de vendredi à samedi. Les autorités italiennes lui reprochent notamment d’avoir tenté une manœuvre dangereuse contre la vedette des douanes qui voulait l’empêcher d’accoster. Elle risque jusqu’à dix ans de prison pour «résistance ou violence envers un navire de guerre». «Ce n’était pas un acte de violence, seulement de désobéissance, a expliqué Carola Rackete dimanche au Corriere della Sera. Mon objectif était seulement d’amener à terre des personnes épuisées et désespérées. J’avais peur.» «Après dix-sept jours en mer et soixante heures en face du port, tout le monde était épuisé, explique à Libération Chris Grodotzki de Sea Watch. L’équipage se relayait vingt-quatre heures sur vingt-quatre afin de surveiller les passagers pour les empêcher de se suicider.»

Carola Rackete a débarqué sur l’île italienne sous un mélange d’applaudissements et d’éructations haineuses : «Les menottes !», «Honte !», «J’espère que tu vas te faire violer par ces nègres». Le ministre de l’Intérieur italien, Matteo Salvini, s’est réjoui de l’arrestation. «Prison pour ceux qui ont risqué de tuer des militaires italiens, mise sous séquestre du navire pirate, maxi-amende aux ONG, éloignement de tous les immigrés à bord, désolé pour les “complices” de gauche. Justice est faite, on ne fera pas marche arrière !»

Si l’extrême droite italienne la qualifie de «criminelle», Carola Rackete suscite l’admiration en Allemagne. Celle que le Tagespiegel surnomme «l’Antigone de Kiel» est née tout près de ce port en bordure de la mer Baltique il y a 31 ans. «J’ai la peau blanche, j’ai grandi dans un pays riche, j’ai le bon passeport, j’ai pu faire trois universités différentes et j’ai fini mes études à 23 ans. Je vois comme une obligation morale d’aider les gens qui n’ont pas bénéficié des mêmes conditions que moi», avait-elle expliqué à La Repubblica. Avant de rejoindre Sea Watch il y a quatre ans, elle a participé à des expéditions pour l’Institut Alfred-Wegener pour la recherche polaire et marine, et pour Greenpeace. Elle effectue des sauvetages en mer depuis 2016.

«Dans toute l’Europe elle est devenue un symbole»

Ses proches la décrivent comme une femme calme et opiniâtre. «Carola […] sait toujours ce qu’elle fait et c’est une femme forte», a dit son père, Ekkehart Rackete, au Corriere della Sera. Chris Grodotzki de Sea Watch dépeint une personne «directe et pragmatique»Dans une vidéo diffusée par l’ONG vendredi, à la question «Matteo Salvini a fait de vous sa principale ennemie, que répondez-vous?» elle rétorque, impériale : «Pour être honnête, je n’ai pas eu le temps de lire les commentaires. Il y a 42 personnes à bord qui ont besoin qu’on s’occupe d’elles.» Car si les médias ont volontiers mis en scène le duel entre «la capitaine» et «Il Capitano» – surnom de Salvini en Italie –, elle ne souhaite pas incarner seule la résistance au ministre de l’Intérieur italien.

De Rome à Berlin, elle reçoit un large soutien de l’opinion. «Dans toute l’Europe elle est devenue un symbole. Nous n’avons jamais reçu autant de dons», dit Chris Grodotzki, indiquant qu’en Italie une cagnotte avait recueilli dimanche près de 400 000 euros. En Allemagne, deux stars de la télévision, Jan Böhmermann et Klaas Heufer-Umlauf, ont également lancé une cagnotte samedi, avec ces mots : «Soutenons ensemble la capitaine emprisonnée Carola Rackete […] avec ce que nous avons par-dessus tout en Allemagne, l’argent.» 500 000 euros ont été récoltés en moins de vingt-quatre heures. Du président de l’Église évangélique, Heinrich Bedford-Strohm, au PDG de Siemens, Joe Kaeser, de nombreuses voix se sont élevées dans le week-end pour prendre sa défense.

Des politiques allemands timorés

Les politiques allemands ont donc fini par réagir. Samedi, le ministre SPD des Affaires étrangères, Heiko Maas, déclarait : «Sauver des vies est un devoir humanitaire. Le sauvetage en mer ne devrait pas être criminalisé. La justice italienne doit désormais clarifier rapidement ces accusations». «Une phrase typique de diplomate allemand timoré, commente Chris Grodotzki de Sea Watch. Nous avons demandé un millier de fois à Heiko Maas de prendre position sur le sauvetage en mer, sans succès jusqu’ici.» Dimanche, le président allemand, Frank-Walter Steinmeier, affirmait dans une interview télévisée : «Celui qui sauve des vies ne peut pas être un criminel.»

Les 40 migrants du Sea Watch III ont donc fini par débarquer à Lampedusa. Ils devraient être répartis entre cinq pays : la France, l’Allemagne, le Portugal, le Luxembourg et la Finlande. Ceux-là ne seront pas morts en Méditerranée, où 17 900 personnes ont péri entre 2014 et 2018 selon un récent rapport de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), et où demeurent toujours engloutis les restes de 12 000 personnes.

À lire aussi  Ne laissons pas notre humanité couler en Méditerranée 

ParJohanna Luyssen, correspondante à Berlin

Print article

Leave a Reply

Please complete required fields