L’art de panser les rebuts

Published 08/07/2019 in Arts

L’art de panser les rebuts
Vue de l’exposition de Flora Moscovici et Yoan Sorin, à Rennes.

Critique

A Rennes, le duo Mobilier peint expose ses installations faites de meubles récupérés qui servent de supports à leurs variations chromatiques.

Le nom du duo, Mobilier peint, sans fioritures, se moule dans sa pratique et sa spécialité : à quatre mains, les trentenaires Flora Moscovici et Yoan Sorin peignent du mobilier. Ce qui d’emblée place leur peinture et eux-mêmes dans une drôle de position. Les meubles qu’ils viennent orner étant cassés, bricolés ou renversés, ils ne semblent s’autoriser qu’à peindre des rebuts où on reconnaît, posés sur de vieux tapis bariolés, une table de chevet démantibulée, une chaise, un banc de téléphone rafistolé, sur lesquels sont juchés des récipients en terre gondolés, tandis que des stores font mine de compartimenter cette expo au centre d’art rennais 40mcube.

Le pinceau arrive ainsi sur ces objets non pas comme la touche finale avant usage mais davantage comme l’extrême-onction, avant le placard. Et cela vaudrait aussi pour la peinture : elle ne pourrait plus oindre que des choses mortes et non plus baptiser des toiles vierges et, dans un ultime coup d’éclat, se destiner elle-même à rejoindre le débarras. Le pinceau de Mobilier peint s’agite frénétiquement à la surface de ces choses : gros coup de brosses laissant de larges traces sur le tapis, gribouillis contrastant avec des zones plus pleines et nettes, mouchetures erratiques et bavures instinctives donnent aux pièces un aspect brinquebalant. Il ne s’agit pas de laisser penser que les meubles vont être remis sur pied grâce à ce ripolinage, mais, quand même, pointe la volonté de colmater les fuites et les brèches.

La peinture œuvre là comme un pansement. La preuve, les deux artistes ont décidé de boucher les trous laissés sur les murs par la précédente expo en les enduisant de tâches blanches et mauves. De même, n’ont-ils pas effacé une peinture murale qui subsistait : ils l’ont réarrangée à leur façon. Enfin, les châssis des cimaises stockés dans le centre d’art deviennent, pour leur expo, des espèces d’étagères peintes. Ce qui en fait une peinture d’after show prolongeant la fête et se refusant à faire table rase du passé en méconnaissant l’histoire de l’endroit où elle met ses pinceaux. Pour quel avantage ? Celui d’abord de ne pas se figer dans le carcan du strict cadre de la toile. D’autant que si quelques peintures s’affichent aux murs, c’est sur de minces panneaux de bois que les artistes nomment «posters». Ce qui allège la pression : sans vocation à rester pérenne, un poster demeure un objet meuble qui, dans l’idée, se punaise aussi vite qu’il se dépunaise, au gré des humeurs ou des déménagements. Jusqu’à récemment, Flora Moscovici et Yoan Sorin formaient un couple. Ils se sont quittés il y a peu. C’est leur première expo ensemble séparés. «Tout cela n’est rien, c’est la vie», titre de l’expo, le révèle à demi-mots de même qu’une des peintures qui prend deux jalousies pour support et l’autoportrait grotesque comme genre. Deux créatures gesticulantes s’y font face, achevant de célébrer la peinture comme pratique capricieuse bercée par les aléas de la vie et de la création, ballottée par les déménagements successifs, de l’atelier au centre d’art, du centre d’art à la galerie marchande, mais avec un toujours possible retour au bercail.

ParJudicaël Lavrador envoyé spécial à Rennes

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