En Inde, ces villages qui font barrage à la désertification

Published 01/09/2019 in https:2019/09/01/

En Inde, ces villages qui font barrage à la désertification
Des travailleuses dans un champ de millet, au nord de Pune en Inde.

Reportage

A l’est de Bombay, des projets d’irrigation aident depuis vingt-cinq ans des paysans à mieux apprivoiser les eaux. Un enjeu au cœur d’une Convention de l’ONU contre la sécheresse des sols, qui s’ouvre ce lundi à New Delhi.

La voiture grimpe doucement la route goudronnée. Elle vient de délaisser les grands axes surpeuplés de la région de Pune et escalade les rives des plateaux des Ghats occidentaux (le long de la côte ouest de l’Inde) de l’Etat du Maharashtra, à 400 km de Bombay. Les habitations sont clairsemées, la terre plus aride. Mais entre ces collines, l’association Watershed Organisation Trust (Wotr) aide les paysans depuis vingt-cinq ans à mieux apprivoiser les eaux pour lutter contre la désertification de leurs champs.

«Regardez ces arbres, lance Prashant Kalaskar. Nous les avons plantés il y a une vingtaine d’années. Vous pouvez deviner leur âge par la largeur de leur tronc.» Cet ingénieur enthousiaste est le responsable adjoint de cette association dans la région et l’un des architectes de ce projet de restauration du bassin versant. Sur la colline qui surplombe le village de Vankuté, la forêt, dense, s’élève en rempart naturel : les racines des arbres retiennent la terre en cas de pluie. Le village reçoit 400 mm de précipitations par an, ce qui le classe, comme près de la moitié des terres indiennes, en zone semi-aride. A présent, ces pluies précieuses pénètrent mieux les sols et rechargent la nappe phréatique, au lieu de s’enfuir vers la vallée.

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Cette démonstration conclue, l’ingénieur saute du véhicule pour se planter devant un monticule de pierres placé au travers du lit de la rivière dévalant la montagne. «Ceci est un gabion, poursuit Prashant Kalaskar d’un air docte. Les pierres sont retenues entre elles par du fil de fer. Cela ralentit le flot de la rivière et laisse le temps à l’eau de s’écouler dans les ruisseaux adjacents pour recharger les puits et la nappe phréatique.» Dans ce village de 1 000 hectares, Wotr a construit sept barrages avec l’aide des villageois. Certains sont de grande taille et renforcés de ciment pour former des petites aires de retenue.

Alcool interdit

Préservation de la forêt et gestion de l’écoulement des eaux : tels sont les deux piliers de ce projet de lutte contre la désertification. Des principes assez basiques mais qui ont nécessité des efforts de la part de la communauté de Vankuté. Quatre règles strictes ont été imposées lors du lancement, en 2000 : interdiction de couper le tronc des arbres et d’aller faire brouter les animaux dans la forêt pour éviter qu’ils mangent les jeunes pousses. Chaque agriculteur devait travailler gratuitement quatre jours par mois pour creuser les tranchées de la rivière ou construire les barrages et, enfin, interdiction de boire de l’alcool, pour «maintenir l’harmonie dans le village».

La résistance a été vive, se souvient Pandurang Shankar Hande, un sexagénaire. Surtout concernant l’interdiction de brouter, combattue par les populations tribales, et celle de boire. Certains ont même porté plainte contre le comité du village pour cette abstinence forcée, mais cela a finalement été accepté. Vingt ans après, l’alcool demeure interdit dans cette communauté de 400 foyers. Le gros œuvre et l’expertise de Wotr ont été financés par l’Agence suédoise de développement, mais au bout de quatre ans, les villageois étaient indépendants. «Avant, nous n’avions pas assez d’eau à boire pendant l’été et nous dépendions de camions-citernes qui s’arrêtaient à 2 km du village, relate Bajirao Baban Hande, un agriculteur. Maintenant, cela n’arrive plus. Nous pouvons même avoir une deuxième récolte pendant la saison chaude et vendre ces aliments.»

Les plants de grenades, tomates et petits pois sont ainsi venus s’ajouter aux cultures d’oignons et de millet qui nécessitent peu d’eau. Ces revenus supplémentaires ont révolutionné la vie des habitants. Ils ont d’abord arrêté de migrer : «Avant, 80 % des habitants partaient travailler hors du village pendant l’été, dont une partie à Bombay, continue ce paysan. Aujourd’hui, à peine 10 % vont travailler dans les villages voisins.» Le confort s’est ensuite installé et la nouvelle génération en bénéficie. «Dans ma jeunesse, je n’avais que deux habits et aucune paire de chaussures, raconte un autre villageois, qui dit venir d’une famille illettrée. Maintenant, j’ai de belles chaussures, une maison en dur et mes enfants font des études à Bombay. Mes revenus ont été multipliés par dix en quinze ans.» Les autres agriculteurs relatent des succès similaires.

Wotr, qui a reçu en 2017 le prix Land for Life de l’ONU pour sa lutte contre la désertification, a accompagné dix-sept villages de ce district d’Ahmednagar. Le projet de Vankuté a coûté 10 millions de roupies (230 000 euros de l’époque) et selon leurs calculs, cet investissement a été «rentabilisé» au bout de quatre ans à travers l’augmentation des rendements et des ventes des paysans. L’organisation américaine World Resources Institute a calculé qu’une telle restauration des terres entraînait des revenus trois fois plus élevés que le coût du projet.

Averses plus intenses

A Bhoijdari, autre village accompagné par Wotr et situé à quelques kilomètres de Vankuté, le chef du comité du bassin milite à présent pour convertir les terres à l’agriculture biologique car cela permet de mieux gérer l’eau. Avec le changement climatique, les averses sont plus rares mais plus intenses, ce qui inonde les terres. «Or les champs que je traite de manière biologique ont des vers, ce qui crée des trous et permet à la terre de mieux absorber cette eau.» Il nous le prouve en montrant comment ses plants de pois biologiques ont résisté aux récentes pluies torrentielles, alors que son voisin, qui traite de manière conventionnelle, a tout perdu. Du reste, les engrais chimiques doivent être dilués, ce qui requiert bien plus d’eau que les mélanges de bouse de vache qui peuvent être appliqués directement sur les plants. Cette optimisation des ressources devient une question de survie : comme une bonne moitié du pays, Vankuté sort de deux ans de forte sécheresse. Les précipitations ont été divisées par deux, menaçant le village isolé d’être classé en zone aride.

ParSébastien Farcis, envoyé spécial à Pune (Inde)

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