Iggy Pop rhabillé pour l’hiver

Published 05/09/2019 in Musique

Iggy Pop rhabillé pour l’hiver
Free, entre rock, déviations atmosphériques et spoken word.

Critique

Avec «Free», le rockeur septuagénaire se rachète une conduite en flirtant avec des ambiances jazz et des textes enténébrés.

Pour le cinquantenaire de l’éruption Stooges (1969, okay ?), une énième réplique d’un Iggy éructant son catéchisme destroy, torse bandé et falzar en feu, aurait sans doute amusé les foules. A la place, sous une pochette façon label ECM, le septuagénaire se libère du poids de ses clichés – «I wanna be free» répété dans l’intro – pour, en vieux reptile, oser une mue à contre-courant comme sa discographie en dénombre quelques-unes plus ou moins réussies. Une explication plausible à cela : le précédent, Post Pop Depression, réalisé entre couilles avec Josh Homme et une bande de desperados huppés, avait été bouclé avant la mort de Bowie, en janvier 2016. Iggy n’étant pas la moitié d’un abruti, il sait que le décompte final est lancé, et qu’à 72 balais sans ménager ses artères, il vaut mieux assurer un épilogue plus noble qu’une réclame pour le Bon Coin ou des reprises de Joe Dassin et de la Vie en rose (sur l’antépénultième album Après, fruit d’un égarement francophile embarrassant.)

Reflux

Bowie avait plutôt réussi sa sortie en flirtant avec le jazz obtus de quelques épées new-yorkaises, Iggy semble l’imiter en allant débaucher au Texas le trompettiste Leron Thomas et la guitariste Sarah Lipstate (alias Noveller), dont le dialogue aérien constitue l’épine dorsale de Free. Pas free-jazz pour autant (dommage), ce 18e album solo repose toutefois sur une articulation ternaire entre morceaux plutôt rock, déviations atmosphériques et spoken word, dans un decrescendo crépusculaire si téléphoné que Pop s’est cru obligé d’intituler le dernier titre The Dawn (l’aube) pour ne pas prêter le flanc aux croque-morts. Dans le premier registre, Loves Missing singe vaguement le riff de Do I Wanna Know ? des Arctic Monkeys, l’entêtant James Bond s’appuie sur une basse qui tabasse que contraste une trompette fluette, quand Dirty Sanchez est quasiment (Iggy) hip-hop, ce début d’album étant dominé par le très bowiesque Sonali et sa mélodie en reflux qui hante longtemps la mémoire. Au cœur du disque, les sons se dilatent, les paroles filandreuses sur l’avancée de l’espèce à l’ère technologique («We are human, no longer human» sur Page) laissent transparaître une légère amertume réac, avec le couplet fatigant sur la célébrité comète dans Glow in the Dark, beau titre au demeurant.

Frissons

Toute la fin est entièrement parlée, sur des paysages ambient, avec un poème de Lou Reed ressorti des limbes (We Are the People) et un autre de Dylan Thomas (Do Not Go Gentle Into That Good Night), lesquels prouvent si besoin était qu’Iggy pourrait réciter du Christian Jacob qu’il nous ficherait des frissons de même nature que le Johnny Cash des derniers souffles. D’ailleurs, sur The Dawn, fausse joie, il n’est question que de ténèbres. Quelque chose cloche, pourtant, dans ce disque plombé, où le panneau «The End» clignote un peu trop fort pour être honnête. Soit son auteur a traversé une mauvaise passe dont on récolte ici les lambeaux, soit il se fout ouvertement de notre gueule. Vivement qu’il remonte la pente, et qu’il remontre sa bite.

ParChristophe Conte

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