Pétrole : l’Arabie Saoudite frappée au portefeuille

Published 15/09/2019 in https:2019/09/15/

Pétrole : l’Arabie Saoudite frappée au portefeuille
Le site Aramco d’Abqaiq, samedi.

Décryptage

Des installations du géant des hydrocarbures Aramco ont subi samedi des attaques aériennes, revendiquées par les rebelles yémenites houthis. Dans ce conflit où s’affrontent indirectement Riyad et Téhéran, les Etats-Unis ont une nouvelle fois dénoncé l’influence iranienne.

Des nuages de fumée continuaient d’envelopper dimanche les sites pétroliers de l’est de l’Arabie Saoudite. Vingt-quatre heures après les attaques de drones revendiquées par les rebelles houthis du Yémen contre les installations du géant pétrolier Aramco, le feu n’était pas maîtrisé. L’attaque n’a toutefois fait aucune victime. Plus préoccupantes sont les conséquences diplomatiques et économiques qui risquent d’embraser la région. Américains et Iraniens échangent depuis samedi des accusations, alors que les tensions autour de l’accord nucléaire mobilisent l’attention internationale depuis des mois. Le Yémen est de plus en plus le théâtre d’une confrontation entre Saoudiens et Iraniens. Les craintes sur le marché du pétrole risquent d’être vives alors que l’Arabie Saoudite, premier exportateur mondial, s’apprête à réduire temporairement sa production.

Quelle est la gravité de cette attaque ?

C’est la plus importante et la plus «réussie», selon les rebelles yéménites houthis qui l’ont revendiquée. Ce n’est pas la première fois que les installations pétrolières saoudiennes sont visées par des drones provenant du Yémen voisin en guerre. Deux précédentes attaques similaires menées en mai et en août avaient causé des incendies «limités». L’un des sites touchés, Abqaiq, principal siège d’Aramco, abrite sa plus grande usine de traitement du pétrole. «Abqaiq est le cœur du système et il vient d’avoir une attaque cardiaque», a commenté l’expert pétrolier Roger Diwan, selon l’agence Reuters. Khurais, le deuxième site visé est l’un des principaux champs pétroliers de l’entreprise publique.

Le contexte régional, déjà très tendu par la crise entre les Etats-Unis et l’Iran, dans lequel surviennent ces attaques aggrave leur portée. Le secrétaire d’Etat américain, Mike Pompeo, a accusé l’Iran d’avoir «lancé une attaque sans précédent contre l’approvisionnement énergétique mondial», mettant ainsi en doute que les frappes soient parties du Yémen. «Des accusations et remarques aussi stériles et aveugles sont incompréhensibles et insensées», a répliqué le porte-parole iranien des Affaires étrangères, Abbas Moussavi, laissant entendre qu’elles avaient pour but de justifier «des actions futures» contre l’Iran.

Qui est derrière cette attaque ?

Les rebelles houthis du Yémen, soutenus par l’Iran, ont clairement revendiqué «une opération d’envergure contre des raffineries à Abqaiq et Khurais». Ils ont affirmé agir en riposte aux frappes aériennes de la coalition militaire menée par l’Arabie Saoudite qui intervient depuis 2015 dans la guerre au Yémen. Une dizaine de drones auraient été utilisés pour cette double opération menée à un millier de kilomètres de Sanaa, la capitale du Yémen, aux mains des houthis depuis cinq ans, selon la chaîne de télévision Al-Masirah, contrôlée par les rebelles. Les houthis prétendent même avoir bénéficié «d’une coopération de renseignement de gens honorables à l’intérieur de l’Arabie Saoudite», leur permettant d’assurer le succès des opérations. Et d’ajouter qu’ils en mèneront «d’autres encore plus douloureuses».

Les attaques des rebelles yéménites montrent qu’ils disposent d’armes sophistiquées et constituent une menace sérieuse pour l’Arabie Saoudite, et plus particulièrement pour ses installations pétrolières. Après la mise en doute par Mike Pompeo de la responsabilité des houthis du Yémen, la presse américaine évoquait d’autres hypothèses. Ainsi, le Wall Street Journal a indiqué que des experts examinaient la possibilité que les attaques contre les installations pétrolières aient été menées par des missiles de croisière tirés d’Irak par des milices pro-iraniennes. Cette éventualité, démentie par les autorités de Bagdad, n’est pas dénuée de fondement. Citant un haut responsable du renseignement irakien, le site d’information Middle East Eye a en effet révélé dimanche soir que les attaques avaient été menées par des drones lancés depuis les bases des milices du Hashd al-Shaabi dans le sud de l’Irak. Deux raisons ont été mises en avant par cette source militaire. Il s’agirait d’abord de représailles aux attaques de drones israéliens, à la fin du mois d’août, contre les milices pro-iraniennnes en Irak et en Syrie qui auraient été «coordonnées par l’Arabie Saoudite». Mais le responsable irakien affirme qu’il s’agit aussi d’«un nouveau message de l’Iran aux Etats-Unis et à leurs alliés pour dire que tant que le siège serait imposé, nul ne peut jouir de la stabilité dans la région».

Quelles conséquences sur la crise avec l’Iran ?

L’escalade verbale entre Washington et Téhéran s’est poursuivie tout le week-end après l’échange d’accusations entre Mike Pompeo et le gouvernement iranien. Les Gardiens de la révolution ont fait monter le ton. Le commandant de la branche aérospatiale de la puissante formation politico-militaire de la République islamique a estimé dimanche que les tensions actuelles, «avec des forces qui se font face sur le terrain», pouvaient contribuer au déclenchement d’un conflit armé, selon l’agence Tasnim, proche des ultraconservateurs iraniens. Le général de brigade Amirali Hajizadeh a indiqué que l’Iran était «toujours préparé pour une guerre totale». Avant d’ajouter : «Ni nous ni les Américains ne voulons une guerre», reprenant ainsi le discours officiel iranien.

Les rivalités internes habituelles entre durs et modérés iraniens doivent être prises en compte et pourraient expliquer l’attaque contre les installations pétrolières saoudiennes. D’autant que celle-ci a été précédée ces derniers jours par des signaux d’ouverture dans le bras de fer américano-iranien. Le limogeage par le président américain, Donald Trump, la semaine dernière, de John Bolton, son conseiller pour la sécurité nationale, connu pour ses positions va-t-en guerre, est perçu comme une volonté de désescalade de la part de la Maison Blanche. Il avait donné un nouvel espoir à la médiation tentée par la France depuis le sommet du G7 pour relancer la négociation autour du dossier nucléaire iranien.

ParHala Kodmani

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