McDo France, créateur d’emplois jetables depuis 1979

Published 22/09/2019 in https:2019/09/22/

McDo France, créateur d’emplois jetables depuis 1979
Les salariés du McDonald’s Saint-Barthélémy à Marseille, devenu durant l’été 2018 le fief de la contestation salariale, le 18 septembre.

Enquête

Si le géant du fast-food, qui vient de fêter les 40 ans de son implantation sur le sol français, recrute à tour de bras, le système de franchise et le fort taux de rotation compliquent toute tentative d’améliorer les conditions des salariés.

Sur le site de recherche d’emploi Indeed, les avis divergent du tout au tout au sujet de McDonald’s. C’est la «pire expérience de ma vie», écrit un ancien employé du géant américain qui vient de fêter ses 40 ans d’implantation en France, où il compte quelque 1 460 restaurants. Un autre, qui a aussi pris le large, s’épanche sur son «salaire misérable». Un troisième, toujours en poste, semble y trouver son compte, évoquant un «bon job étudiant» et «des employeurs très reconnaissants». «Une bonne école pour apprendre un vrai métier et se faire une carrière», abonde une directrice de restaurant. C’est aussi ce discours, mis en avant par la chaîne de fast-food, qui a fait son succès en France. Avec «80 % de directeurs ayant commencé comme équipiers», c’est-à-dire en bas de l’échelle, le mastodonte, qui affiche près de 6 milliards de chiffre d’affaires en France, vante les «possibilités d’évolution» de ses salariés.

«Taylorisation»

Des employés – des «talents», dans le jargon – qu’il embauche à la pelle, ce qui lui vaut régulièrement le titre de «plus grand recruteur de France». Plus de 70 000 personnes y travaillent pour McDo, dont beaucoup de jeunes (62 % des équipiers ont moins de 25 ans), principalement en études ou sans diplômes. Tous les ans, la multinationale signe en moyenne 40 000 contrats à travers le pays. Sans relâche, elle tente d’attirer de nouvelles recrues, en publiant des offres par dizaines, sur les réseaux sociaux ou via des entretiens minutés et plutôt informels (le «job dating»). En cette rentrée, elle fait aussi diffuser sur toutes les chaînes françaises un clip promotionnel pour vanter ses carrières destinées à tous, sous le mode «venez comme vous êtes». Il y a trois mois, McDo a même lancé sur Internet un site de recrutement sans CV, pour cibler «les millennials». «Débutants ou expérimentés», la «grande famille» leur tend les bras, offrant principalement des CDI (81 % des contrats).

L’entreprise recrute car elle crée des emplois : elle prévoit d’ouvrir 2 500 nouveaux CDI d’ici la fin 2019. Mais si la multinationale est autant à l’affût, c’est surtout parce qu’elle fait face à un taux de rotation important de ses effectifs, les équipiers restant en moyenne un peu moins d’un an, du fait de «la présence importante d’étudiants», selon le groupe. «Si McDonald’s est l’un des plus gros recruteurs, c’est aussi l’une des entreprises dont on démissionne le plus», souligne Vincent Pasquier, professeur en gestion des ressources humaines à HEC Montréal. «Ça bouge tout le temps», confirme Gilles Bombard, secrétaire général de la CGT McDo Ile-de-France. Et d’ajouter : «Ce sont des emplois jetables. Ceux qui restent le plus longtemps ne le font pas par plaisir. Ils subissent.»

Dans un rapport publié en 2017, le Réseau pour l’action collective internationale (React), qui regroupe des syndicats et des ONG, estimait le taux de rotation à 88 %, loin, très loin de la moyenne nationale, autour de 13 %. Le rapport de React pointait également la précarité de ces «McJobs» : «temps partiel [80 % des contrats, ndlr] pour de tout petits salaires», «ni prime pour le travail en soirée, ni pour celui du week-end, ni de treizième mois»«Un jour, on aura un France Telecom chez McDo. Tout repose sur une taylorisation accrue des méthodes de travail, avec des tâches très répétitives. Un employé peut passer sa journée à mettre des steaks dans le grill», raconte Gilles Bombard.

Une situation qui semble s’être renforcée avec la robotisation des tâches. «Tout est déshumanisé. Il n’y a plus de réflexion, tout se fait sous le contrôle des écrans et des tickets de clients», constate Loïc Doran, délégué CGT et manager d’un franchisé à Elbeuf (Seine-Maritime). «Il y a des signaux qui s’allument partout si le temps de préparation des commandes est trop élevé. Ça génère du stress», abonde Gilles Bombard. Le groupe, lui, assure que la «qualité du cadre de travail est une priorité de l’enseigne», arguant que «près de 75 % des salariés recommanderaient à un ami ou un proche de venir travailler dans un restaurant».

Contre-exemple

«McDonald’s est une machine à emploi phénoménale, mais le groupe fait aussi tout pour que les gens partent rapidement, explique le chercheur Vincent Pasquier. Et ce en partie pour éviter toute forme de protestation. Il paye mal ses salariés, alors qu’il a des marges financières pour mieux faire, et impose des cadences élevées.» Selon lui, «le fort taux de rotation est partie intégrante du système d’emploi de McDo». Conséquence directe, les syndicats sont rares au sein de la multinationale, et les salariés peinent à obtenir des avantages. Quelques villes font toutefois figure de contre-exemple. A Rouen ou à Marseille, certains ont réussi à obtenir un treizième mois ou le paiement des courses en taxi lorsqu’il n’y a plus de transport en commun. Mais toujours au prix de longs combats syndicaux.

A Elbeuf, après plusieurs mobilisations, les salariés ont aussi obtenu d’importantes augmentations. «On est dans un quartier sensible, les gens qui travaillent ici ne sont pas des étudiants, c’est leur métier et ils en sont fiers. C’est comme ça qu’on a pu les mobiliser», raconte Loïc Rodan. Mais cette avancée est restée cantonnée à cette ville de la banlieue de Rouen. Car le système de franchise, mis en place par la multinationale, annihile souvent tout espoir de coordination entre les salariés des différents McDo. «A cause de ce système, ils ne communiquent pas entre eux. Et la gestion du management est complètement déléguée au franchisé. Résultat, entre deux restaurants, les écarts de salaires peuvent dépasser 20 %», décrit Leïla Chaibi, députée européenne LFI à l’initiative d’une commission d’enquête citoyenne sur McDonald’s. Et l’élue de conclure : «Sur tous les points, depuis que l’enseigne est en France, McDo se croit intouchable.»

ParAmandine Cailhol

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