Egypte : face aux manifestants, Al-Sissi se distingue par son silence

Published 22/09/2019 in https:2019/09/22/

Egypte : face aux manifestants, Al-Sissi se distingue par son silence
Le président Al-Sissi le 19 juin à Bucarest, en Roumanie.

Analyse

Actuellement à New York, le président égyptien n’a pas répondu aux manifestants. Les contours du mouvement qui débute restent difficilement lisibles.

Vendredi dernier, lorsqu’il a quitté le Caire pour New York – où il doit s’exprimer devant l’Assemblée générale de l’ONU mercredi prochain – le président Abdel Fattah al-Sissi ne pouvait ignorer que le couvercle tenait à peine sur la marmite bouillonnante de son pays. Son détracteur en chef, Mohamed Ali, venait pour la première fois d’appeler les Egyptiens à descendre dans les rues après le match de foot entre les deux grandes équipes de la capitale pour manifester leur colère. L’homme d’affaires qui a bouleversé la scène politique égyptienne en dénonçant dans ses vidéos la corruption au sein de l’armée et de l’entourage du président venait de lancer un nouveau défi inédit au pouvoir.

L’absence et le silence du maréchal Al-Sissi, au moment où la révolte dirigée en grande partie contre sa personne a éclaté dans les rues égyptiennes, ont suscité étonnement et interrogations au sein de la population et parmi les observateurs de l’Egypte.

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«Comment Sissi peut-il quitter le pays sachant que la situation risquait d’exploser ?» se demande Tamim Heikal, militant des droits de l’homme, réfugié. Membre fondateur de l’Initiative franco-égyptienne pour les droits et les libertés (IFEDL), il parle en «vieux révolutionnaire», désignant par ce terme les activistes de 2011, désorientés par la révolte qui vient d’éclater. «Tout est nouveau pour nous, on est dépassé. Le mouvement de la rue n’est pas clair. Pour le moment, on essaie de décrypter», reconnaît l’opposant. Après l’enthousiasme de voir des manifestants braver la peur et la répression en osant enfin descendre dans les rues contre le pouvoir, le doute s’est installé chez les anciens contestataires qui ont chassé le président Moubarak en 2011, puis Mohamed Morsi, le président issu des Frères musulmans, en 2013. «On est très loin de nos demandes de liberté et de démocratie de 2011», confirme Mona, jointe par messagerie depuis Le Caire. Rappelant les motivations essentiellement économiques des nouveaux protestataires, elle soupçonne «des services de sécurité d’être derrière l’accès de colère des Egyptiens».

Elle n’est pas la seule à souligner que la place Tahrir n’était pas verrouillée vendredi par la police, comme elle l’a souvent été ces dernières années pour prévenir toute manifestation. Malgré les dizaines d’arrestations parmi les manifestants, «la répression a été mesurée» selon la militante. Les conjectures sur une division au sein des appareils du pouvoir égyptien se multiplient. Car les révélations de Mohamed Ali sur les bagarres entre généraux pour obtenir des parts dans les projets lucratifs et les entreprises dont s’est emparée l’armée ont suscité la rage chez les officiers qui n’avaient aucune miette du gâteau. «C’est la personne de Sissi qui est visée par la protestation», confirme Tamim Heikal qui estime que jamais un président n’a été «humilié en termes aussi crus» que ceux utilisés par l’homme d’affaires exilé. «Le plus étrange c’est que certains militants démocrates sont demandeurs d’un coup d’Etat militaire contre lui», s’étonne le réfugié politique. Abdel Fattah al-Sissi rentrera-t-il au Caire après sa visite à New York ? La question incongrue est aujourd’hui sérieusement posée par certains Egyptiens.

ParHala Kodmani

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