«Monos» et «Chernobyl», la BO en phase d’irradiation

Published 15/09/2019 in Musique

«Monos» et «Chernobyl», la BO en phase d’irradiation
Hildur Gudnadóttir a collaboré avec Sunn O))) et Pan Sonic.

Musique

Chacune à leur manière, les compositrices Mica Levi et Hildur Gudnadóttir pilonnent les bases de la musique de films et de séries.

On peut les compter sur les doigts d’une main, les bandes originales de films qui ont changé les choses ces dernières années. Celle, traumatisante et magnifique, composée par Mica Levi pour Under the Skin, du Britannique Jonathan Glazer, en fait partie. Pour dire le moins, ses bourdons frigorifiés et autres glissandos renversants semblent avoir contaminé jusqu’aux expériences les plus «audacieuses» de Hans Zimmer, présentement le compositeur le plus visible et influent à Hollywood, pour les films Interstellar et Dunkerque de Christopher Nolan. Un rayonnement qui va bien au-delà de la transmigration esthétique : c’est toute la prescience de Mica Levi quant à la manière d’investir le grain des images et des histoires par le bruit dans sa variété de timbres et d’échelles – électronique, industriel, symphonique – qui a fait son chemin jusque dans les arrière-pensées des employeurs de Zimmer et des décideurs de grands studios.

Sirène inversée

La musique composée par la Londonienne pour Monos, du Brésilien Alejandro Landes (dont la sortie française est prévue pour mars 2020), tombe à pic pour s’en souvenir, d’autant qu’elle figure au firmament de ses plus discordantes et inspirées : une symphonie spectaculaire et sévère dont chacun des sons (timbale d’orchestre, sirène inversée, flûte de pan en plastique), seul en son espace minuscule ou démesuré, subjugue et terrifie. Le thème principal, enchaînement basique d’accords synthétiques qui évoque quelque hit acid house effacé de l’histoire, ne se contente pas de nous rappeler que Levi, avant de taper dans l’oreille des cinéastes, a été élevée entre les clubs punks et les champs dévastés par les raves. Monos est de fait si inspiré dans sa plastique et son geste – simplissime – qu’on soupçonne qu’on en retrouvera des échos très bientôt dans les musiques de grosses productions.

Les leçons de Mica Levi ont vraisemblablement inspiré la violoncelliste Hildur Gudnadóttir pour la BO de la mini-série historique Chernobyl, qui témoigne qu’elle a considérablement grandi comme tisseuse de musique infernale à l’image. L’Islandaise, identifiée pour ses collaborations avec les fondamentalistes du son Sunn O))) ou Pan Sonic, s’était jusque-là illustrée dans un néoclassicisme engoncé et vicinal, dans la lignée de la musique de son mentor Jóhann Jóhannsson (mort en 2018).

L’essai magistral de Chernobyl, qui n’est pourtant pas dénué de thèmes mémorables (Bridge of Death), est d’une tout autre nature : une immense complainte noise dont les matériaux, ambiances et ritournelles indissociables et indivisibles, sonnent comme autant de hurlements, désastres imminents et coups de pression.

Pêche aux sons

Gudnadóttir est d’autant plus méritante dans l’accomplissement qu’elle a composé ces pièces en manipulant des sons environnementaux enregistrés sur les lieux du tournage de la série, en Lituanie, dans la centrale désaffectée d’Ignalina (avec l’aide du maître du field recording, Chris Watson). Une pêche aux sons qu’elle associe à une chasse aux trésors, et dont on se dit que les conditions assez angoissantes (comme l’obligation de porter une combinaison Hazmat) ont au moins autant influencé leur transfiguration en boucan lyrique que la volonté de changer les règles du jeu de la musique de film ou de série télévisée. Avec le bel impact critique et public que l’on sait – Chernobyl ayant été une des séries les plus regardées de l’année -, gageons que la contamination ne fait que commencer.

ParOlivier Lamm

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