A Doha, des marcheurs et marathoniens au bout de la nuit et de la chaleur
Aux Mondiaux au Qatar, les épreuves hors stade, se disputeront de nuit. Plus que l’horaire, la température et l’humidité risquent de perturber les athlètes. Chacun s’est préparé à sa manière.
Avec ses températures caniculaires à cette époque de l’année, Doha n’est pas la ville idéale pour disputer les compétitions de longue distance de l’athlétisme, comme le marathon ou la marche (20 et 50 km, samedi). Les organisateurs des championnats du monde, pour essayer de minimiser la souffrance due à la chaleur et à l’humidité, ont donc décidé de faire démarrer les compétitions hors stade (marathon et marche) après 23 heures. Les marathons hommes et femmes partiront à 23h59 (heure locale) – les 20 km et 50 km marche à 23h30. La température, à ces horaires, se situe autour de 30°C, la minimale en cette saison dans la capitale qatarie. Marathons et marcheurs ont déjà connu des horaires de départ à coucher dehors aux Mondiaux : par exemple à Osaka (Japon) en 2007 et Daegu (Corée du Sud) en 2011, ils étaient partis avant que le jour se lève. A Doha, ils vont s’élancer à l’heure où ailleurs, on toque à la porte des boîtes de nuit.
«On nous prend pour des cons»
«On travaille depuis quelque temps sur deux thématiques très importantes dans notre sport et qui à Doha vont être clés : le sommeil et la chaleur, explique Patrice Gergès, directeur technique national (DTN) à la Fédération française d’athlétisme. Des physiologistes et un expert de l’armée, car les soldats rencontrent souvent les mêmes problèmes, nous ont aidés à savoir quelle serait la meilleure manière de s’acclimater, en sachant que chaque individu a un profil différent. Par exemple, au niveau du sommeil, chacun de nos athlètes a reçu son profil établi à l’avance avec un expert. Il s’avère que la grande majorité peut se coucher tard. Du coup on ne craint pas trop les horaires décalés. Pour la chaleur, en plus de la physiologie des athlètes, l’acclimatation dépendra de la discipline. Pour certains, comme les marcheurs ou les marathoniens, c’est du one shot, d’autres doivent passer par des qualifications.» Patrice Gergès souligne : «On a laissé aux athlètes la liberté de choisir leur stratégie d’adaptation au climat qu’ils trouveront à Doha, surtout aux plus experts qui connaissent bien leurs réactions.»
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Parmi eux il y a le marcheur Yohann Diniz, champion du monde sortant du 50 km marche, qui a décidé de rester à la maison pour s’entraîner : «A Reims on a la possibilité d’utiliser une chambre chaude où l’on peut pratiquer du tapis roulant et du vélo à des températures bien précises, explique Gilles Rocca, coach de Diniz. La chaleur et l’humidité très élevées nous font peur. En revanche, l’horaire ne nous préoccupe pas, car avec les montées d’adrénaline on peut être performants à tout moment. La vraie aberration c’est d’organiser un championnat du monde à Doha, où il fait plus de 30° la nuit et où le taux d’humidité peut monter à 80% la nuit. Yohann a un grand bénéfice qui lui vient de l’âge : à 41 ans il a sa famille, il relativise beaucoup autour des grandes compétitions et donc il s’enlève du stress inutile, souvent très négatif. Combien d’athlètes se font leur compétition dans la tête avant le coup de pistolet ?» Vendredi à Doha, Diniz a poussé un gros coup de gueule : «Je suis un peu dépité. Je suis arrivé ici en très grande forme mais plein de choses m’interpellent. Dans le stade [climatisé, ndlr], les conditions seront normales. Mais en ce qui concerne le hors stade, on nous prend pour des cons. Je suis énervé. On nous met dans une fournaise pas possible. On est pris pour des cobayes. Ça me fait chier et je regrette d’être là. On va commencer et finir dans des conditions dantesques.»
«Nuit de fête»
Si, pour bien s’acclimater, il faut «entre cinq et dix jours sur place», comme l’explique le DTN. On peut aussi choisir d’arriver à la dernière minute ou presque. «Avec Yohann on a choisi de faire cela : arriver soixante-douze heures à l’avance, pour ne pas devoir subir la chaleur trop longtemps, explique son entraîneur. L’image est la suivante : vous descendez de l’avion, vous allez faire votre compétition et vous rentrez, en minimisant l’exposition au climat. Cette solution est possible aussi parce qu’entre Doha et Paris il n’y a qu’une heure de décalage horaire. Pour les JO de Tokyo, l’an prochain, je crois qu’on partira beaucoup plus tôt.»
Pour Diniz, ces mondiaux représentent la dernière étape avant Jeux olympiques japonais : «Au printemps dernier, à la Coupe d’Europe, il a remporté la course avec en réussissant les minima pour les JO. Du coup le 50 km de Doha sera la dernière course avant Tokyo et la course des JO devrait être la dernière course de sa carrière», précise l’entraîneur. Le docteur Jean-Michel Serra, médecin de l’équipe de France d’athlétisme, valide ce choix : «Changer ses cycles circadiens à cette époque de l’année, à dix mois des JO, peut être très dangereux pour l’équilibre de l’athlète. Dans le cas de Diniz, qui aime faire la fête en dehors de la saison des compétitions, ce sera comme vivre une nuit blanche, une nuit de fête.» Avec une médaille autour du cou à la fin ?
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