Grand Musique Management «Les artistes entrepreneurs vivent mieux de leur musique»

Published 20/09/2019 in Musique

Grand Musique Management «Les artistes entrepreneurs vivent mieux de leur musique»
Olivier Mathieu (à gauche) et Matthieu Couturier (à droite), les cofondateurs de l’agence Grand Musique Management, dans leurs bureaux parisiens.

Interview

Fondé en 2013, Grand Musique Management conseille les musiciens et leur propose toute une gamme de services, leur permettant de se passer de maison de disques et de fonctionner en totale indépendance. Explication de texte avec les deux cofondateurs de la structure.

Venus de l’industrie du disque, Matthieu Couturier, qui a travaillé chez Universal jusqu’en 2010, et Olivier Mathieu, qui fut notamment directeur artistique chez BMG, ont créé Grand Musique Management en 2013, une agence qui manage des musiciens comme Superpoze, Etienne de Crécy, Château Marmont et Lomepal – qui s’apprête à remplir deux fois l’AccorArena en novembre. La particularité de ces artistes est qu’ils fonctionnent sans contrat avec un label et ont monté leur propre société pour gérer leurs affaires. Ce sont des «artistes entrepreneur», comme il y en a de plus en plus ces dernières années. Dans un contexte en forte évolution, Grand Musique Management s’est fait une spécialité de représenter et conseiller ces musiciens chefs d’entreprise, comme l’expliquent Matthieu Couturier et Olivier Mathieu.

Grand Musique Management se présente comme une société de management d’artistes, mais également comme une «agence de service». Qu’est-ce que cela veut dire ?

Matthieu Couturier : Le cœur du métier du management, tel qu’il a toujours été et tel que nous le pratiquons encore, est de proposer des conseils aux artistes, de représenter leurs intérêts et de recevoir pour cela une commission proportionnelle à leurs revenus de 15 %. Mais c’est un métier qui évolue et doit s’adapter à un nouveau contexte. C’est pour cela que nous avons dû offrir de nouveaux services à nos artistes.

Concrètement, comment ça marche ?

M.C. : Contrairement aux cabinets d’avocats ou d’agents d’acteurs, dans lesquels chaque agent s’occupe de ses propres clients [comme on peut le voir dans la série télévisée Dix pour cent, ndlr], chez nous l’agence entière est au service de tous les clients et chacun a ses spécialités. Un peu comme dans une équipe de foot : l’idée, c’est que le ballon circule. Il y a une équipe qui travaille sur tout ce qui concerne la production au sens large (réalisation et fabrication d’albums, de vidéos, de spectacles, de merchandising…) et trouve les bons professionnels qui vont travailler avec l’artiste pour donner naissance à ses idées. Une deuxième équipe travaille sur les questions de marketing et de promotion. C’est-à-dire tout ce qui va générer des ventes ou de la notoriété pour l’artiste. Et la dernière équipe s’occupe de l’administration, un poste essentiel car cela concerne notamment la collecte des revenus du musicien. Chaque pôle compte en gros trois personnes et nous sommes onze à travailler à l’agence.

Cela revient à donner aux musiciens avec lesquels vous travaillez les moyens d’être maîtres de leur destin, en devenant en quelque sorte des entrepreneurs, gérant leur créativité comme une entreprise et restant propriétaires de leurs œuvres.

Olivier Mathieu : Clairement, pour les musiciens qui le souhaitent, nous proposons une alternative à la signature avec un label de disques.

M.C. : Il y a encore quelques années, faire de la musique coûtait très cher. Pour enregistrer un album, il fallait aller dans des studios, qui étaient des structures très onéreuses, et rémunérer des musiciens. La fabrication même de l’objet disque et sa distribution coûtaient beaucoup d’argent. Tout a changé. Le streaming, notamment, a modifié la manière dont fonctionne le système. Avant, les producteurs étaient rémunérés une seule fois, au moment de l’achat du disque, qu’il soit écouté une fois ou mille. Avec le streaming, l’artiste ou sa maison de disques est payé de manière constante. Et comme chaque écoute est rémunérée, il gagne potentiellement davantage d’argent. Par ailleurs, les réseaux sociaux ont également pris une place énorme et permettent aux musiciens de «s’automarketer». Les médias, qui hier lançaient les artistes, restent importants mais uniquement pour couronner un succès et aider les artistes à dépasser la communauté qu’ils se sont eux-mêmes créée. Tous ces changements n’ont pas radicalement modifié les différents métiers de l’industrie de la musique mais plutôt la manière (et le moment) dont ils interviennent dans le développement de l’artiste. Surtout, cela permet aux musiciens de pouvoir exister seuls sur le marché sans forcément avoir besoin de la mise de fonds qu’apportaient hier les labels de disques.

En quoi le modèle que vous proposez aux artistes est différent de ce que proposent les maisons de disques traditionnelles ?

M.C. : Une maison de disques avance de l’argent pour que les artistes réalisent des œuvres dont elle devient propriétaire. Le patrimoine d’un label, ce n’est pas l’artiste mais ses disques. Nous, nous ne sommes propriétaires de rien : l’artiste reste propriétaire de tout ce qu’il crée mais nous lui proposons des services et des conseils sur tous les aspects de sa création.

O.M. : Le point de vue n’est pas du tout le même – d’un côté l’artiste, de l’autre l’œuvre – mais structurellement nous nous ressemblons. Les métiers que nous pratiquons sont les mêmes que ceux d’une maison de disques.

Mais tous les musiciens n’ont probablement pas envie, même pour gagner plus d’argent, de devoir gérer eux-mêmes la production de leur disque, le tournage de leurs clips, la réalisation de la pochette de leur album, la mise en place de leur tournée, même avec l’aide de différents conseillers ?

M.C. : C’est une culture nouvelle qui ne correspond probablement pas à tous les artistes. Mais ce qui est nouveau, c’est qu’aujourd’hui ils ont le choix. A eux de choisir dans quel système ils se sentent le plus à l’aise. Ils ne sont plus obligés de choisir de travailler avec un label : un artiste peut être employé ou entrepreneur. Les maisons de disques emploient des artistes – nous, nous fournissons des services à des artistes entrepreneurs.

Est-ce que cela ne concerne pas avant tout des artistes écoutés par une population adepte des réseaux sociaux, en gros les artistes rap et electro écoutées par les plus jeunes ?

M.C. : Je ne pense pas que ce système soit plus adapté à certains univers musicaux, comme le rap ou l’electro. Si on retrouve plus d’artistes entrepreneurs dans ces univers musicaux, c’est qu’ils ont été obligés de se structurer dans l’underground et l’indépendance. Historiquement c’est un système qui est né par et pour ces artistes dits de «niche».

Sont-ils réellement nombreux, les musiciens qui font ce choix aujourd’hui ?

M.C. : C’est impossible à quantifier, mais ils sont de plus en plus nombreux. On en trouve d’ailleurs beaucoup parmi les plus gros vendeurs de disques actuels. PNL, le numéro 1 des ventes du premier semestre 2019 par exemple, ou Angèle, en deuxième position sur la même période, qui est uniquement distribuée par Universal, et bien évidemment Lomepal, que nous représentons et qui est la septième meilleure vente. Par ailleurs, les maisons de disques traditionnelles se sont elles-mêmes adaptées à cette nouvelle réalité et proposent des contrats qui laissent aux artistes qui le souhaitent bien plus de liberté qu’avant.

Mais ce sont tous des artistes de «niche» écoutés par des fans très jeunes.

O.M. : Si nous pointons ces exemples, c’est parce qu’ils confirment qu’un succès populaire d’ampleur est dorénavant possible avec ce mode de fonctionnement. Mais il est valable pour tous les styles d’artistes et, surtout, il leur permet de vivre mieux. Les artistes entrepreneurs vivent mieux de leur musique. Ils en tirent de meilleurs revenus.

Contrairement à de nombreux musiciens qui se plaignent de ne tirer que de très faibles revenus du streaming, Lomepal reconnaît en vivre bien. Faut-il en déduire que les artistes qui se plaignent du modèle du streaming se trompent de cible ?

M.C. : Ce qui est certain, c’est que le streaming injecte plus de revenus dans l’industrie de la musique que le CD ou le vinyle hier. Avant son apparition, la moyenne de consommation des Français était de deux albums par an, ce qui faisait 30 euros injectés dans la musique. Aujourd’hui, avec les abonnements au streaming illimité qui coûtent tous à peu près 10 euros, ce montant est plutôt de 120 euros. Depuis quelques années, il y a de nouveau de l’argent qui circule dans l’industrie de la musique. Le gâteau est beaucoup plus gros c’est certain, mais la part des artistes se résume souvent à des miettes. Lomepal ne se plaint pas des revenus qu’il tire du streaming car il traite directement avec son distributeur, sans intermédiaire.

O.M. : Les musiciens qui se plaignent sont ceux qui sont victimes d’un contrat lié à une activité qui n’est plus du tout la même et ne perçoivent qu’une infime partie des revenus du streaming.

D’où vient ce modèle de l’artiste entrepreneur ? Les Daft Punk qui, dès les années 90, ont choisi de rester propriétaires de leurs œuvres en ne donnant que licence à une maison de disques pour leur exploitation, n’ont-ils pas ouvert la voie à ce modèle ?

O.M. : Les artistes de musique électronique ont été les grands précurseurs de ce mode de fonctionnement tout simplement parce que l’industrie ne s’intéressait pas à eux. Ils ont été contraints de se développer de manière indépendante et de débroussailler le terrain. Il est révélateur que le premier client de notre agence ait été Etienne de Crécy, un pionnier de la scène électronique française (lire Libération du 4 mai).

M.C. : Le milieu du rap français des années 90 s’est aussi largement structuré ainsi. IAM, Cut Killer, le Secteur Ä… avaient tous leur propre société. Et puis, avec les années 2000 est arrivée une nouvelle génération d’artistes entrepreneurs qui se sont emparés des nouvelles technologies comme Stromae, C2C, Fauve, 1995 ou encore Sexion d’Assaut, dont est issu Maître Gims. Tous étaient leurs propres producteurs tout en continuant à faire distribuer leurs disques par des maisons de disques. Mais c’est surtout aux Etats-Unis que cette culture s’est développée dans les années 70, notamment dans le monde du cinéma avec des agences comme CA. Cette agence n’est propriétaire de rien mais intervient à tous les niveaux et sur tous les contrats signés dans le milieu du divertissement aux Etats-Unis. C’est une référence pour nous. Ce sont des «faiseurs de deal» qui ont insufflé cette culture du service dans le divertissement qui se développe aujourd’hui en France.

Ce modèle ne cache-t-il pas en même temps une évolution de l’artiste lui-même ? Hier, un musicien n’avait que ses disques et ses concerts à vendre, aujourd’hui certains sont de véritables marques, vendant des vêtements et des objets en tout genre à leurs fans, devenant acteurs ou présentateurs de télévision.

M.C. : Exactement. Aujourd’hui, durant sa carrière, un musicien ne produit pas que des chansons : il exprime son talent et sa vision au sens large sur toute sorte de domaines. Comme Stromae par exemple, passé de la chanson à la mode.

O.M. : Ce sont des artistes qui, en tant qu’entrepreneurs, se sont constitués en tant que marques et n’ont donc eu aucun problème pour naviguer entre différents univers. Aujourd’hui, l’accès à la création est tellement simplifié qu’il n’y a plus de barrières entre les différentes activités artistiques. Des musiciens comme Grand Corps malade, Orelsan ou Camélia Jordana, qui sautent d’un domaine artistique à un autre, seront encore plus nombreux à l’avenir. Le disque et la tournée ne sont plus les seules sources de revenus des musiciens. Et les musiciens ont besoin d’être accompagnés dans toute leur démarche artistique par des équipes qui ont intérêt à travailler avec eux, quel que soit le domaine auquel ils ont envie de s’attaquer.

Comment envisagez-vous de développer Grand Music Management ?

M.C. : Nous venons de créer, en partenariat avec l’agence de cinéma UBBA, l’agence Voulez-vous, qui va représenter des talents issus de l’univers de la musique et du cinéma, en gérant au quotidien leur image pour développer des partenariats avec des marques. Ce sera la première agence avec cette double casquette musique et cinéma. Nous souhaitons renforcer nos liens avec les autres métiers d’agent, qu’il soit littéraire, cinématographique, lié au mannequinat ou à l’art contemporain. Nous voulons renforcer notre expertise en développant des synergies avec des agents qui font des métiers cousins du nôtre. Des artistes comme Woodkid ou Quentin Dupieux, qui sont autant réalisateurs que musiciens, sont typiques de leur époque. Les musiciens sont et seront encore plus demain des créateurs qui œuvreront dans plusieurs disciplines à la fois. Et il faudra pouvoir les accompagner dans toutes leurs envies et créations.

ParAlexis Bernier

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