Dans la nuit, «je l’ai entendu crier “Allah Akbar” au moins six fois»

Published 06/10/2019 in https:2019/10/06/

Dans la nuit, «je l’ai entendu crier “Allah Akbar” au moins six fois»
Dimanche à Gonesse (Val-d’Oise), où vivait Mickaël Harpon, responsable de l’attaque de jeudi à la préfecture de police de Paris.

Reportage

Les voisins de Mickaël Harpon à la résidence des Platanes, à Gonesse, n’avaient rien remarqué d’anormal chez lui avant la veille de l’attaque.

Quatre jours après l’attaque meurtrière perpétrée à la préfecture de police de Paris, l’association musulmane de Gonesse (Val-d’Oise) a pris la parole dimanche soir dans la mosquée que fréquentait l’homme qui a tué quatre personnes. «Si je connais quelqu’un qui est radicalisé, j’irai le voir et lui parler. S’il est déterminé, j’irai le dénoncer personnellement à la police», assure l’imam Hassan el-Houari, qui parle d’un «acte indigne» : «Cela nous brise le cœur.» Il dit avoir reconnu le meurtrier quand sa photo a été diffusée sur les écrans. Pas Abdelaziz (1). Fidèle de la mosquée de la Fauconnière, il le connaissait pourtant bien : «Il était toujours à la prière du matin. Je l’ai vu la veille de l’attaque.» Il assure que Mickaël Harpon fréquentait la mosquée depuis cinq ans. Et lui avait parlé de son mal-être au travail. «La dernière fois, c’était en juillet. Il cherchait à avoir une promotion et sentait qu’il ne l’aurait jamais. Il me disait qu’on ne le prenait pas au sérieux à cause de son handicap [sourd à 70 %, ndlr]. Des personnes arrivées après lui avaient été, disait-il, promues. Pas lui : ça l’affectait.»

Sans histoire

La résidence des Platanes,au cœur de la ville, retrouve, elle, petit à petit son calme. C’est dans cette cité HLM située le long d’une route départementale que Mickaël Harpon résidait depuis cinq ans. Depuis plusieurs décennies, l’ensemble d’habitations abrite de nombreux fonctionnaires de police. Devant l’immeuble numéro 7, la stupéfaction règne depuis la perquisition et le ballet des journalistes. Dans le voisinage, l’agent administratif est décrit comme un locataire sans histoire.

Jérémy, la trentaine, est fonctionnaire de police en région parisienne. La veille de l’attaque, il est réveillé par un cri provenant de chez Mickaël Harpon, son voisin du dessus. «Vers trois heures du matin, je l’ai entendu crier “Allah Akbar”, raconte-t-il. Au moins six fois. J’ai eu un peu peur, mais je me suis rendormi. Lorsque j’ai appris que le tueur habitait ici, j’ai été pris de tremblements et de pleurs.» L’homme se souvient d’un voisin discret, ordinaire et assure n’avoir jamais croisé sa famille. «C’était monsieur Tout-le-Monde. La dernière fois que je l’ai vu, on n’a pas échangé un mot. Il portait un long vêtement, avec une capuche. Il était voûté, solitaire. Il bossait à la préfecture et les collègues n’ont rien vu. Il habitait le même immeuble que moi et on n’a rien vu venir non plus. Tout le monde est bouche bée ici.» Luigi, voisin et ami de Jérémy, est aussi brigadier en Ile-de-France. Les deux hommes partagent le même constat : «Comment la préfecture ne s’est pas rendu compte de cette faille dans sa sécurité ? Il va falloir être encore plus vigilant dans notre métier, sans tomber non plus dans la paranoïa.»

Au dernier étage de l’immeuble, la porte de l’appartement du tueur garde les stigmates de la perquisition. La serrure a été défoncée et un trou laisse apercevoir l’intérieur de l’appartement. Aucun scellé n’a été posé. On y distingue un salon où vêtements et objets en tout genre jonchent le sol. Dans l’immeuble, rares sont ceux qui connaissaient le meurtrier, natif de Fort-de-France, en Martinique.

Franck, gendarme, est lui aussi originaire des Antilles. A plusieurs reprises, il a discuté avec Mickaël Harpon. «Un matin, il y a un an de ça, il était en retard pour le travail. Je lui ai proposé de l’accompagner en voiture à la gare et on a commencé à parler. Malgré son handicap et une certaine lenteur dans son phrasé, je comprenais bien ce qu’il me disait.» Les deux hommes n’ont pas de longues conversations mais sympathisent. «Il sortait parfois en bas de l’immeuble avec sa petite fille qui faisait du vélo. Il m’a dit qu’il bossait pour les services secrets, mais n’a jamais mentionné un quelconque problème au travail.» La première fois qu’il le voit porter le qamis, cette longue robe traditionnelle, Franck, «surpris», tente une plaisanterie. «Je lui ai dit qu’il avait une jolie jupe. Ça l’a fait rire.» Il se souvient d’un homme au crâne rasé qui venait souvent chercher Mickaël Harpon pour la prière : «Ils allaient à la mosquée ensemble, mais le gars ne rentrait jamais dans la résidence. Il l’attendait au niveau du parking, là où des jeunes vendent du shit.»

 «Surréaliste»

En ce dimanche d’automne, les gens pressent le pas pour rentrer chez eux. Nadia, 50 ans, habite le bâtiment situé en face de celui du tueur. Bien qu’elle n’ait jamais croisé Mickaël Harpon, elle est sous le choc. «Lorsque j’ai vu le fourgon de la BRI en bas et les agents casqués et en uniforme, j’ai tout de suite compris. J’étais tétanisée devant la télévision et en même temps je voyais la police qui allait et venait dans l’immeuble d’en face. Surréaliste.» Ancienne agente administrative à la préfecture de police et habitante des Platanes depuis vingt ans, elle se souvient de ses journées de travail passées au 1, rue de Lutèce à la PP : «On peut y entrer et sortir comme on veut. Les gens ne le savent pas forcément. Il a dû quitter son service, aller acheter son couteau et revenir. Je vois très bien comment sont les locaux. C’est facile d’imaginer la scène.»

(1) Tous les prenoms ont été modifiés. 

ParCharles Delouche

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