John Bercow tire sa révérence et… déplore le Brexit

Published 07/11/2019 in https:2019/11/07/

John Bercow tire sa révérence et… déplore le Brexit
John Bercow, le 31 octobre, son dernier jour en tant que speaker de la Chambre des communes.

Chronique «Brexit Stories»

L’ex-Speaker s’est confié pour la première fois depuis son départ à la presse internationale (et pas britannique) et voit dans le Brexit une «erreur» historique.

Il avait choisi une date emblématique pour tirer sa révérence. Le 31 octobre 2019 devait marquer le dernier jour de l’appartenance du Royaume-Uni à l’Union européenne et aussi le dernier de ses dix années dans l’imposant fauteuil du speaker, le président des débats à la Chambre des communes. Le Brexit ne s’est finalement toujours pas produit, mais John Bercow, 56 ans, a bien quitté le Parlement. Il a même annoncé son retrait complet de la politique.

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Désormais, il souhaite «recalibrer [sa] vie, [s]’amuser et faire quelque chose de bien». Mais avant de retourner sur les courts de tennis, «une vraie passion, pas un hobby, une passion dont mon héros absolu est Roger Federer», l’ex-speaker a choisi d’abandonner la retenue que sa fonction lui imposait et livré quelques vérités… à la presse internationale rassemblée par la Foreign Press Association (FPA) à Londres. Au grand dam de la presse britannique, profondément offusquée de se voir ignorée. John Bercow, qui prépare un livre à paraître au printemps 2020, a pour le moment refusé toute interview avec les médias nationaux. D’habitude, c’est le contraire, les politiciens britanniques sont en général réticents à l’idée de s’exprimer dans la presse étrangère. Certains ont déjà refusé des demandes d’interview en expliquant benoîtement que «désolé, mais vos lecteurs ne votent pas pour moi».

«Je n’ai plus à rester impartial»

Détendu, en costume bleu sombre assorti d’une de ses innombrables cravates bariolées, John Bercow se prête volontiers au cirque de son désormais fameux «Orderrrrrr, orderrrrr». Il va même jusqu’à en décliner les nuances. Il y a le «order» enthousiaste, le «oooorddderrr» agacé et celui furieux.

Mais au-delà du folklore, il livre pour la première fois officiellement sa position vis-à-vis du Brexit. «Je pense que le Brexit est la plus grande erreur du Royaume-Uni en matière de politique étrangère depuis la Seconde Guerre mondiale», explique-t-il en réponse à une question. «Je ne suis plus speaker, je n’ai plus à rester impartial. Donc, si vous me demandez si je pense que le Brexit est bon pour notre position globale, ma réponse honnête est non, je ne pense pas.» «Nous appartenons à un monde de blocs de pouvoirs et de blocs commerciaux et mon sentiment est qu’il vaut mieux en faire partie que pas.»

La presse britannique eurosceptique, frustrée et jalouse de ses propos confiés à d’autres, lui est immédiatement tombée dessus, l’accusant d’impartialité tout au long de son mandat au Parlement. Ce qu’il réfute catégoriquement :«Je suis toujours resté impartial dans mon fauteuil de président, mais je n’étais pas impartial quand il s’agissait de défendre le Parlement.» Quant aux amendements qu’il a sélectionnés pour des votes et qui ont parfois mis des bâtons dans les roues du gouvernement, il rappelle, cinglant : «Je les ai sélectionnés lorsqu’ils portaient un nombre conséquent de signatures venues de tous les partis et me paraissaient justifier un débat.»

Il souligne aussi qu’un gouvernement doté d’une majorité aurait fait adopter un accord sur le Brexit plus tôt. «Mon rôle n’était pas de protéger le gouvernement des réalités de l’arithmétique au Parlement.» Lequel a fini par voter en faveur de l’accord ramené de Bruxelles par Boris Johnson, mais contre un examen approfondi réalisé en trois petits jours, comme le souhaitait le gouvernement. «Ecoutez, il vaut mieux faire les choses bien que vite, donc, en tant que Parlement, nous avions tout à fait le droit de continuer à débattre de la question.»

Habitudes de dix ans

Quant à la décision de Boris Johnson de suspendre (proroguer) en septembre le Parlement, «j’ai tout de suite dit qu’il s’agissait d’un outrage constitutionnel, d’un manque de respect et pas d’une prorogation normale». Il n’est plus au cœur des Communes, mais l’emphase, le vocabulaire choisi et les intonations appuyées sont toujours là – on ne perd pas si vite les habitudes de dix ans. Il marque une pause, regarde la salle et ajoute, en pesant sur chaque mot : «L’important, ce n’était pas mon avis, mais celui de la Cour suprême. Le résultat a été 11 à 0, je répète 11 à 0… 11 à 0 [les onze juges avaient voté à l’unanimité pour déclarer la prorogation du parlement illégale, ndlr].»

«Je ne suis pas très important, mais le rôle de Speaker est très important et j’ai fait de mon mieux pour promouvoir et asseoir le rôle du Parlement.» Et à ceux, et ils sont nombreux, qui jugent que le Parlement britannique s’est montré dysfonctionnel ces trois dernières années, il assène : «Le Parlement est divisé et reste divisé, mais, à ce titre, il représente parfaitement le pays qui est lui-même profondément divisé. Ce Parlement divisé avait été élu en 2017, un an après le référendum sur le Brexit.»

ParSonia Delesalle-Stolper, Correspondante à Londres

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