Immolation à Lyon : «Son geste en dit beaucoup sur la situation étudiante actuelle»

Published 12/11/2019 in https:2019/11/12/

Immolation à Lyon : «Son geste en dit beaucoup sur la situation étudiante actuelle»
Mardi, à Lyon, lors du rassemblement contre la précarité étudiante devant le Crous de Lyon après qu’un étudiant s’est immolé par le feu le 8 novembre.

Reportage

Après la tentative de suicide d’A., étudiant de 22 ans, devant le bâtiment lyonnais du Crous vendredi, ses soutiens et amis ont afflué ce mardi à Lyon-II.

«La précarité tue» : cette phrase est devenue virale, ce week-end, sur les réseaux sociaux, suite à l’acte désespéré d’A. (1), un étudiant qui s’est immolé par le feu vendredi au pied d’un bâtiment du Crous (Centre régional des œuvres universitaires et scolaires) de Lyon. Ce slogan est désormais tagué en lettres rouges sur les murs du bureau de Nathalie Dompnier, la présidente de l’université Lyon-II, saccagé en marge du rassemblement organisé ce mardi en hommage à l’étudiant, brûlé à 90% et luttant toujours pour la vie à l’hôpital.

C’est à quelques mètres de l’endroit où A. a commis «l’irréparable», selon ses propres mots dans un message laissé au préalable sur Facebook, que ses soutiens ont afflué ce mardi à 10 heures. Des membres du syndicat Solidaires, dont l’étudiant de 22 ans est une figure, ont d’abord lu sa lettre signée d’un «au revoir» et justifiant un geste «politique» : «Je vise […] le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche et, par extension, le gouvernement», a-t-il écrit, fustigeant le «libéralisme qui crée des inégalités».

«Moyens de vivre»

Les interventions se sont ensuite succédé devant un millier de personnes. «Je connaissais très bien notre camarade, son geste en dit beaucoup sur la situation étudiante actuelle et sur la grandeur de son investissement militant», considère Louise, également membre de Solidaires, qui a rappelé l’une des revendications de son organisation, «le salaire étudiant, payé à toute personne qui étudie pour qu’elle ait les moyens de vivre».

Originaire de Saint-Etienne, A. triplait sa deuxième année de licence en sciences politiques et ne touchait plus de bourse. «C’est lui qui m’a appris beaucoup de choses sur le syndicalisme de lutte, se souvient Beverly Rubin, membre de Solidaires et ancienne camarade de promotion d’A. Il a aussi toujours été très impliqué dans la vie de la fac.» Elu à la Commission de la formation et de la vie universitaire (CFVU), le jeune homme vivait à la résidence étudiante Jean-Mermoz, en périphérie de Lyon («la pire», commente Beverly Rubin), avant de perdre son logement cette rentrée en raison de son nouveau redoublement.

12 novembre 2019, Lyon.Manifestation contre la précarité étudiante après qu'un étudiant de 22 ans se soit immolé le 8 novembre.Rassemblement d’étudiants devant le Crous de Lyon mardi. Photo Bruno Amsellem pour Libération

«On savait qu’il n’était pas bien, raconte la jeune femme qui a assisté à une réunion avec lui mardi dernier, mais il ne nous avait pas parlé plus que ça de sa demande de bourse exceptionnelle.» Cette dérogation lui ayant été refusée, A. n’avait plus aucune source de revenus pour poursuivre ses études. «Et même quand j’en avais, 450 euros par mois, était-ce suffisant ?», interrogeait-il dans son texte. «Il vivait chez sa copine depuis juillet, toute sa vie se résumait à défendre les droits des étudiants et plus largement ceux des prolétaires, des pauvres. S’il s’en sort, ce sera toujours comme ça, il continuera à se battre contre le capitalisme», veut croire Beverly Rubin.

«Etre étudiant, c’est aussi sortir, découvrir une ville, la vie»

Avant qu’une marche ne s’élance spontanément, deux étudiants viennent dire au micro que des «choses à manger» ont été achetées «pour ceux qui ne peuvent pas se payer un petit-déjeuner». Arrius, 22 ans, étudiant en sciences sociales, n’est pas dans ce cas : «Je ne suis pas le plus à plaindre, mais c’est important d’être là par solidarité.» Le jeune homme, qui connaissait A. «de loin», s’émeut de cette «détresse liée aux injonctions du type “si tu es dans la merde, c’est de ta faute” qui finit par te faire vriller».

Et les «difficultés», ce n’est pas seulement parvenir tout juste à payer son loyer et ses repas, souligne Arrius : «Quand la part des loisirs est inexistante, ça conduit à l’isolement.» A ses côtés, Angie, 21 ans, acquiesce : il a abandonné ses études de musicologie pour travailler à temps complet dans la restauration «à cause de cette précarité» : «J’avais plus d’une demi-heure de transports pour aller en cours, ça prenait une part énorme de mon budget. Etre étudiant, normalement, ce n’est pas juste fournir un travail intellectuel, c’est aussi sortir, découvrir une ville, la vie.» Plus loin, Catherine, 59 ans, une salariée qui vient de reprendre ses études en sociologie, abonde : «Un certain nombre d’étudiants touchent le fond, je trouve très grave, très dangereux que l’idée de conditions minimales d’existence ne soit pas admise socialement.»

Lorsque la déambulation arrive devant le rectorat, elle est accueillie par une ligne de policiers armés. Au mégaphone, quelqu’un dit : «On voulait une réponse des pouvoirs publics, la voilà, en uniforme avec des flash-balls !» La marche atterrit finalement sur l’un des deux campus de Lyon-II, sur les berges du Rhône, qui après la mise à sac du bureau de sa présidente a été bloqué pour le reste de la journée. Au même moment, à l’Assemblée nationale, la députée LFI Danièle Obono a lu le message d’A. Le secrétaire d’Etat à la jeunesse, Gabriel Attal, s’est engagé en réponse à «continuer à avancer». Les étudiants lyonnais appellent à une reconduction du blocus pour mercredi.

(1) Le nom d’A. est apparu dans certains médias, Libération fait le choix, en respect de celui de ses confrères, de ne donner que son initiale.

ParMaïté Darnault, correspondante à Lyon

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