Mort de Cachou : «Dans les Pyrénées, l’ours rassure l’homme»

Pour le spécialiste de l’ours dans les Pyrénées Jean-Jacques Camarra, la mort du mâle de 5 ans retrouvé jeudi dans le Val d’Aran augmente le risque de consanguinité et donc de vulnérabilité de l’espèce.
intime de l’ours depuis plus de quarante ans, dans son confinement en Vallée d’Aspe (Pyrénées-Atlantiques). Qui est désormais libre de parole après avoir pris sa retraite fin 2019 de l’Office national de la chasse et de la faune sauvage (l’ONCFS, devenu Office français de la biodiversité, OFB).
Est-ce que la mort d’un ours vous émeut ?
Oui. Toujours. Même si l’on sait que c’est la nature sauvage… La vie est très dure dans ces milieux. L’ours meurt fréquemment des suites d’une chute depuis une falaise, ou bien des blessures infligées par un autre ours. Certains gros mâles tuent des oursons. Les individus les plus âgés meurent «de vieillesse», par exemple de parasites qui les affaiblissent. Contrairement à l’homme, les épidémies sont rares, parce que l’ours n’est pas un animal grégaire.
Pourquoi mener une autopsie ?
C’est déjà une «chance» d’avoir retrouvé la dépouille : Cachou était équipé d’un collier GPS. Sinon, on ne retrouve des restes que dans 2% des cas. Un crâne dans une forêt, un beau jour… L’autopsie est nécessaire à des fins scientifiques voire judiciaires pour savoir s’il y a eu braconnage ou empoisonnement – le phénomène se produisait il y a encore quarante ans mais le dernier ours braconné remonte à 1994.
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Qui était Cachou ?
Un ours mâle né en 2015, unique fils de Balou, un ours slovène lâché dans les Pyrénées en 2006. Il s’était signalé ces dernières années comme prédateur de bétail domestique, de même que son comparse Goïat qui est sans doute l’individu filmé samedi dernier sur des crêtes au-dessus de Loudenvielle (Hautes-Pyrénées).
Sa mort fait-elle planer un risque sur la reproduction des ours dans les Pyrénées ?
Sur le court terme, la perpétuation de l’espèce n’est pas en danger grave, parce que sa population est de taille déjà conséquente [une soixantaine d’ours estimés, ndlr]. Mais la mort de Cachou fait courir un risque génétique. Tous les ours vivant dans les Pyrénées sont descendants d’individus slovènes et plus aucun n’a de parenté avec l’ours autochtone, à l’exception de Cannellito, le fils de Cannelle [la femelle tuée accidentellement par un chasseur en 2014, ndlr]. Mais sur les 800 ours en Slovénie, on relève des patrimoines génétiques différents. Cachou présentait des gènes éloignés de la plupart des autres ours. Le risque, c’est qu’à force de consanguinité, les animaux deviennent sensibles aux mêmes pathogènes et puissent être décimés d’un coup. C’est la forte diversité génétique qui les rend résistants.
Faut-il réintroduire de nouveaux ours pour assurer la pérennité de l’espèce ? Plusieurs associations écologiques le demandent mais Emmanuel Macron a confirmé en janvier la suspension du programme de réintroduction qui devait se prolonger jusqu’en 2028.
Je ne suis pas opposé à la réintroduction d’ours mais cela ne me semble pas être une priorité. La population actuelle ne fait pas craindre une disparition à court terme, comme c’était le cas au milieu des années 90, avant l’arrivée des ours slovènes. La priorité est au dialogue avec les populations locales et les bergers qui ressentent les prédations. Il ne faut pas forcer la main mais convaincre. Je regrette qu’il n’y ait pas de médiateur de l’Etat sur le sujet et que la fonction soit assurée par les préfets et sous-préfets qui font ce qu’ils peuvent. Les locaux ont besoin d’être rassurés, aidés et d’exprimer ce qu’ils ressentent. Les seuls agents administratifs qu’ils rencontrent sont ceux qui expertisent les pertes en bétail après une attaque. Difficile que les deux partis se fassent confiance.
L’ours des Pyrénées demeure un sujet politique brûlant ?
C’est un choix qui correspond à l’envie d’une nature préservée. La chasse à l’ours a été politique, la réintroduction d’individus slovènes également, tout comme l’arrêt de ce programme. Mais je vois bien que l’ours s’impose comme un symbole incontournable des Pyrénées, pas tant pour l’écosystème que pour rassurer l’homme. Après Airbus, c’est le deuxième sujet le plus traité par France 3 Région ! Les habitants des zones à ours le redoutent parfois mais ils le guettent, ils sont contents de le savoir non loin de là. Dans une période où on sent beaucoup de choses nous filer entre les doigts, la santé, le climat, ça fait du bien de savoir qu’on a un ours près de soi.
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