Godard, pas à bout de souffle au temps du Covid-19

Published 07/04/2020 in Cinéma

Godard, pas à bout de souffle au temps du Covid-19
Jean-Luc Godard en live sur Instagram mardi.

Billet

Le cinéaste de l’éternelle avant-garde a réfléchi à voix haute et en live sur Instagram sur notre situation présente.

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«Un monde gagné pour la technique est perdu pour la liberté»: c’est la dernière phrase du nouveau film court de Jean-Marie Straub, dite de dos par un homme qui marche sur la rive du lac Léman. La France contre les robots (2020, 10 minutes pour ses deux versions mises bout à bout), appel antitechnologique à la révolution d’après un passage du pamphlet de même titre de Georges Bernanos, et sorti le 5 avril en libre accès sur le site Kino Slang, est dédié par Straub à son voisin confiné de Rolle, Jean-Luc Godard. Il n’aura fallu que deux jours à JLG pour lui répliquer à sa manière, qui laisse toujours le hasard avoir l’air de bien faire les choses. 

En répondant en direct sur le compte Instagram de l’Ecal, l’école d’art de Lausanne, aux questions du cinéaste Lionel Baier, pendant plus d’une heure et demie ce mardi après-midi, à l’attention des confinés connectés de la planète, Jean-Luc Godard – «the coolest guy in the world» d’après ce commentaire d’un usager défilant un instant sous le visage, sans masque mais avec cigare, de l’Auteur – créait, comme à son habitude, événement. Et c’est peut-être par temps de pandémie mondiale que la parole élémentaire de JLG pouvait nous atteindre plus fort encore que d’habitude : parole tendre et cruelle, généreuse et réservée, qui ne fait jamais que décrire et démasquer (son interlocuteur portait bien cette protection actuellement de mise) la situation d’énonciation où, sur le moment, elle prend place. Qu’allait-on cette fois bien vouloir entendre, médiatisée en live, de la bouche électronique de la pythie de Rolle, qui ne lisait pas en retour les mots d’amour passant dans toute les langues sur l’écran avec force émojis, attentifs et sourds à sa voix fragile ? 

«Le virus est une communication, il a besoin d’un autre, d’aller chez le voisin, comme certains oiseaux, pour y entrer. Comme quand on envoie un message sur un réseau, on a besoin de l’autre pour entrer chez lui», disait-il en substance, évoquant la théorie de l’information. Et plus tard, à nouveau : «Le virus est une communication : comme ce qu’on est en train de faire… dont on ne va pas mourir, mais peut-être qu’on n’arrive pas à bien en vivre.» Et Godard nous redit la formule de sa pensée récente, qui oppose «la langue» (celle qui fixe, avec son alphabet, ou avec ses courbes de progression capitalistes, qui montrent chaque jour la progression actuelle du virus comme elles représentent le reste du temps la croissance – génie critique de JLG) au «langage, qui est un mélange de parole et d’image», et dont le cinéma est parfois capable. Parole et image donc, par un bout d’après-midi dans le monde malade gagné pour la technique, mais qui n’est du reste pas forcément, chez Jean-Luc Godard, tout à fait perdu pour la liberté.

ParLuc Chessel

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