En Israël, le ghetto de riches, l’enclave palestinienne et le mur de terre
Chaque mardi, instantanés d’Israël et de Palestine, à la découverte des bulles géographiques et mentales d’un territoire aussi petit que disputé. Aujourd’hui, Césarée et Jisr al-Zarqa, la ville la plus huppée d’Israël collée à la plus défavorisée, symbole des inégalités foncières entre Juifs et Arabes.
Le contraste ne pourrait être plus caricatural. Léchés par les mêmes vagues placides de la Méditerranée, deux ghettos de l’Israël moderne.
Césarée, celui des hyper-riches, érigé sur les ruines arabes et les vestiges romains, avec son golf, ses courts de tennis à foison et ses villas (dont celle des Nétanyahou) planquées au fond de lotissements à l’américaine, gardés par des guérites et bordés de haies qu’on dirait taillées au scalpel.
Et puis Jisr al-Zarqa, seul village arabe de la côte à avoir survécu à la Nakba (l’exode palestinien à la création d’Israël), où vivent entassés dans des maisons rudimentaires aux façades pastel en perpétuels travaux (tiges d’acier sur les toits, échafaudages rustiques) les lointains descendants des pêcheurs, «bédouins des marécages» et esclaves nubiens qui y ont longtemps vécu en autarcie.
Mur de terre
Entre la communauté la plus élitiste («l’homme de Césarée» est devenu une insulte populiste en Israël) et la ville la plus défavorisée du pays (espérance de vie réduite de vingt ans, salaire moyen deux fois inférieur à la moyenne nationale, taux de déscolarisation alarmant, Jisr al-Zarqa collectionne les statistiques misérables), s’élève un énième mur séparant Juifs et Arabes, de terre celui-là. Rien de naturel ou de métaphorique : longue d’un kilomètre et haute d’une dizaine de mètres, cette butte couverte de végétation a été façonnée en 2002 par la «société de développement» de Césarée (seule commune d’Israël gérée comme un country club par un groupe privé), afin, très officiellement, de créer une «barrière sonore» étouffant les chants du muezzin et un obstacle pour les éventuels cambrioleurs.
Symbole édifiant des inégalités structurelles entre les bourgs juifs et arabes, le diptyque Césarée-Jisr al-Zarqa vient de faire l’objet d’une étude approfondie par Human Rights Watch (HRW), dans un rapport paru la semaine dernière compilant les «politiques foncières de discrimination à l’encontre des résidents palestiniens» à l’échelle du pays, suivant une logique similaire à celle appliquée dans les Territoires occupés.
Selon l’ONG, l’aménagement du territoire israélien ne favorise pas seulement les Juifs, il cherche aussi à confiner leurs concitoyens arabes dans des villes surpeuplées, privées des terres nécessaires au logement d’une population croissante. Celle de Jisr al-Zarqa a doublé en vingt ans, alors que les Arabes représentent aujourd’hui environ 20% des Israéliens.
A lire aussi :Umm al-Fahm, la ville arabe d’Israël que Trump veut renvoyer en Palestine
Bretelle
Ainsi, à Césarée, la densité de population des happy few est de 800 habitants au km², dix fois inférieure à celle Jisr al-Zarqa, qui en compte 15 000 sur moins de 2 km². Le bourg est bordé de toutes parts. Au nord par un luxuriant kibboutz dont les bassins piscicoles s’étendent alentour et par une réserve naturelle. Au sud par Césarée et sa butte. A l’est par l’autoroute 2, qui longe la côte du Nord au Sud. La quatre-voies frôle le village sans même qu’une sortie ne permette de s’y arrêter, enclavant plus encore les résidents.
Même la mer a rétréci, délimitée par une base militaire, une centrale électrique et la plateforme gazière Leviathan aux abords interdits, tout comme le rivage d’al-Tantoura, village arabe voisin, rasé en 1948 et désormais «parc naturel», au grand dam des pêcheurs au filet, en voie de disparition.
Il y a quatre ans, les autorités israéliennes, qui rejettent les conclusions d’HRW, ont promis aux habitants de Jisr al-Zarqa une bretelle d’autoroute, ainsi que l’allocation de terrains pour des centaines de nouveaux logements. Faute de financements et de volonté politique, aucun des deux projets n’est pour l’instant sorti de terre. La butte, elle, est là pour rester.
A lire aussi :Retrouvez toutes les chroniques «Terres promises»
Leave a Reply