Et si Homo sapiens n’avait pas découvert l’Amérique ?

Published 27/04/2017 in Sciences

Et si Homo sapiens n’avait pas découvert l’Amérique ?
Un fragment de dent de mastodonte à San Diego, en Californie.

Sciences

En étudiant des os de mastodonte apparemment percutés par un outil en pierre, des paléontologues américains émettent l’hypothèse d’une présence humaine sur le continent américain il y a cent trente mille ans… Alors qu’Homo sapiens n’est arrivé que cent mille ans plus tard.

Le consensus actuel estime que l’homme moderne, Homo sapiens, a quitté son berceau africain il y a quatre-vingt mille ans pour commencer à peupler l’Eurasie, l’Australie, puis le continent américain il y a vingt mille ans. Les premiers Américains sont arrivés en traversant la Béringie, un bandeau de terre qui reliait l’Asie et l’Amérique du Nord là où on trouve actuellement un bras de mer – le détroit de Béring. Ces découvreurs auraient ensuite lentement colonisé le double continent, descendant toujours plus au Sud jusqu’à atteindre le cap Horn il y a quatorze ou quinze mille ans. Sauf que… On s’est peut-être trompé dans les grandes largeurs.

En réétudiant des restes de mastodonte, ce vieux mammifère un peu moins grand que le mammouth, une étude publiée dans Nature ce 26 avril par une équipe de paléontologues majoritairement américains laisse entendre que les premiers humains s’étaient déjà installés en Californie il y a cent trente mille ans. Ce ne serait donc pas Homo sapiens, mais un cousin – Néandertal, peut-être, ou l’hominidé de Denisova qui prospérait en Asie.

Motifs de fracture

Des dents, des défenses et des os avaient été trouvés en 1992 sous une autoroute de San Diego, enlisés dans le limon aux côtés de roches érodées et brisées. Mais le paléontologue Thomas Deméré a toujours pensé que les roches étaient trop grosses pour avoir été transportées là par un cours d’eau. «On a envisagé plusieurs explications, et on n’arrêtait pas de revenir à l’idée que des humains soient impliqués dans le processus», explique-t-il à Nature.

Au Muséum d’histoire naturelle de San Diego, où il officie, Deméré a reçu en 2008 la visite d’un couple de paléontologues, Kathleen et Steven Holen, spécialisés dans les roches et les os d’animaux portant des marques suspectes, peut-être infligées par des humains. Les Holen s’appuient sur ces marques pour soutenir l’hypothèse (très polémique) que des hommes et des femmes foulaient peut-être déjà le sol américain il y a quarante mille ans.

Bingo : les restes de mastodonte de Deméré ont conforté les Holen dans leur hypothèse. «On avait sous les yeux quelque chose de très, très vieux, mais avec des motifs de fracture que nous avions déjà vus ailleurs», se souvient Kathleen Holen. Comme si l’os avait été posé sur une roche «enclume» et percuté avec une roche «marteau». Il n’y a pas de traces nettes de découpage sur l’os du mastodonte, donc il est peu probable que l’animal ait été chassé pour sa viande. Mais on a pu chercher à extraire sa moelle, ou en faire un outil.

Steve Holen essaie de reproduire les marques de percussion trouvées sur les os de mastodonte avec des enclumes et des marteaux en pierre.

Uranium

Une nouvelle datation des restes de mastodonte a été organisée en 2012 avec des techniques récentes (la mesure de l’uranium et du thorium radioactifs), et les os semblent finalement être âgés de cent trente mille ans. Steven Holen reconnaît en être le premier surpris : «C’est bien antérieur aux débuts des hominines en Amérique du Nord d’après les estimations des archéologues. Je suis sûr que mes collègues vont être très sceptiques. C’est compréhensible.»

La méfiance qui va forcément accueillir cette étude dans la communauté archéo-paléontologique est à la mesure de la révolution qu’elle propose : «Ce serait un séisme dans nos connaissances sur le peuplement du monde», estime dans Nature le généticien Pontus Skoglund, qui propose de vérifier cette datation en prélevant de l’ADN fossilisé sur l’os de mastodonte pour vérifier le stade de son évolution.

Il faudra aussi trouver un moyen de vérifier que les marques sur l’os sont bien d’origine humaine. Elles n’ont pas été laissées par des dents de carnivore, c’est certain, et les coups de pelleteuse sur le chantier de l’autoroute sont aussi exclus. Mais si les hommes habitaient là, pourquoi n’a-t-on pas trouvé d’autres traces ? En Afrique, il y a cent trente mille ans, on fabriquait pas mal d’outils en pierre introuvables sur le site de San Diego, rappelle l’archéologue britannique John McNabb. Mais peut-être que des indices humains ont été ignorés car personne ne les cherchait sérieusement à cet endroit, à cette époque. C’est ce qu’espère Steven Holen : «Pensez à chercher ce type de matériel quand vous fouillez. Ne vous dites pas que c’est impossible.»

ParCamille Gévaudan

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