Altice étend son empire médiatique

Published 27/07/2015 in Économie

Le président du groupe de télécoms Altice Patrick Drahi, le 24 juin 2015 à Paris (Photo MIGUEL MEDINA. AFP)

ANALYSEL’homme d’affaires Patrick Drahi a annoncé lundi, avec Alain Weill, l’acquisition à terme du groupe NextRadio TV (BFM TV, RMC). Le patron de SFR et Numericable, qui détient déjà «Libération» et «l’Express», poursuit ainsi sa stratégie d’expansion tous azimuts.

Le nouveau deal de Patrick Drahi est présenté comme une alliance. En réalité, le «partenariat stratégique» entre Alain Weill (créateur et PDG de NextRadio TV) et le milliardaire (président fondateur d’Altice, SFR-Numericable et propriétaire de Libération) a des allures de vente à terme. Le premier étend son empire, le second s’adosse à un géant plus rassurant et entreprenant dans un monde où il devient crucial d’avoir les pieds dans les tuyaux et dans les contenus. Ce nouveau coup est parti lundi matin dans le ciel des médias français, avec une question sur toutes les lèvres : «Mais quand diable s’arrêtera-t-il ?»

Patrick Drahi a en effet convaincu Alain Weill – les deux hommes se connaissent depuis près de vingt ans – de lui céder son groupe de médias indépendants (qui comprend notamment la radio RMC et la chaîne d’info en continu BFM TV) par le biais d’une OPA d’environ 595 millions d’euros, soit trois fois son chiffre d’affaires. Alain Weill et le groupe Altice s’associent d’abord dans une société qui va servir de «véhicule à l’OPA», selon une source proche du dossier. Elle est détenue à 51 % par Alain Weill, qui en sera le président. Cette société créera une OPA volontaire sur l’ensemble des titres du groupe NextRadio TV à 37 euros l’action (soit 30 % de plus que le cours moyen) qui devrait intervenir d’ici la fin de l’année 2015, après information du gendarme des marchés financiers, présentation au CSA et à l’autorité de la concurrence.

De plus, Alain Weill sera actionnaire de 24 % dans Altice Content, une filiale du groupe Altice située un cran au-dessus, et qui a vocation à investir dans des sociétés de médias, notamment à l’international, «où les perspectives de croissance et de consolidation sont nombreuses», dixit la publication des bans du mariage. Alain Weill le confirme à Libération : «Je m’associe avec un actionnaire puissant dans les télécoms, pour faire ensemble des acquisitions dans les réseaux et les médias, un modèle qui marche bien aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne.»

«Consolidation». Dans l’immédiat, Altice Content, filiale média d’Altice, ne chapeaute pas les dernières acquisitions médias de Patrick Drahi, rassemblées, elles, dans Altice Media Group (AMG), directement lié au milliardaire et piloté par Marc Laufer, qui par ailleurs a été directeur général délégué de Weill. AMG regroupe les dernières emplettes : Libération, le groupe l’Express, i24 News, plus… les trois titres en négociation avec le groupe Intescia que sont l’hebdo Stratégies, les mensuels Coiffure de Paris et CosmétiqueMag. Mais à terme, on peut imaginer que tous les médias finiront dans la même escarcelle, proche de l’auberge espagnole. Cela irait «dans le sens de l’histoire», nous confirme-t-on en off des deux cotés.

Courtisé par d’autres sérieux prétendants bien avant le «tycoon», Alain Weill a cédé aux sirènes d’un groupe de télécoms qui a une valorisation de 60 milliards, à peu près au même moment où Martin Bouygueslui fermait la porte pour avaler Bouygues Telecom. «Alain Weill sécurise son groupe, sachant qu’il est très loin derrière les TF1 ou M6 et qu’il peut avoir à craindre un Bolloré», estime Jean-Clément Texier, banquier-conseil spécialiste des médias. Le patron de NextRadio TV, groupe solidement bâti en quinze ans, a envoyé lundi matin un mail à ses salariés pour défendre l’alliance. «Si nous voulons continuer notre belle aventure, il nous faut disposer de nouveaux leviers pour faire face à une concurrence toujours plus intense et profiter de l’innovation qui irrigue et transforme notre secteur.» De fait, NextRadio TV manquait aussi de taille critique pour se développer. «Weill a racheté très cher la chaîne Numéro 23 avec de l’endettement et en plus on lui a mis des bâtons dans les roues, avance un observateur. Il est allé jusqu’au bout de ce qu’il pouvait faire.» Autre élément de contexte : le cas LCI, dont l’éventuel passage en clair ferait de l’ombre à BFM TV.

Depuis le lancement de la chaîne i24 News en juillet 2013, Patrick Drahi construit un groupe multimédia, sans cohérence éditoriale évidente. «Pour gagner dans les médias “traditionnels”, il renverse toutes les tables et casse les méthodes de travail à l’ancienne», analyse un observateur. De fait, avec Alain Weill, le milliardaire aura un homme de contenus médias, qui connaît bien le monde anglo-saxon, qui a même tâté du print où il a essuyé des échecs (la Tribune), et qui est rompu auxéconomies d’échelle…

Migraine. Si Patrick Drahi donne décidément le tournis dans cette spirale d’acquisitions, il n’est pourtant pas question qu’il s’arrête. «On continue notre stratégie de consolidation énoncée lors de notre introduction en Bourse il y a dix-huit mois, précise la même source proche du dossier. Elle a commencé avec SFR, puis Portugal Telecom, puis de 70 % du câblo-opérateur américain Suddenlink Communications.» Tout ça avec une politique de rachat par l’endettement susceptible de donner la migraine à tout bon père de famille. Dans le tableau, NextRadio TV ne représente après tout qu’un demi-milliard d’euros, l’ensemble du pôle médias de Drahi quelques centaines de millions. C’est beaucoup moins que Lagardère, mais c’est un nouvel entrant qui prend du coffre à côté des historiques. Et ce n’est pas fini. «On a envie d’aller à l’étranger, au Portugal, grandir en France dans l’audiovisuel là où les synergies sont fortes», s’enthousiasme Alain Weill, l’encre à peine sèche.

Frédérique ROUSSEL

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