Geneviève Savigny : «La surproduction pousse les éleveurs au désespoir»

Published 22/07/2015 in Terre

Geneviève Savigny. (Photo Jean-François Monier. AFP)

INTERVIEWMembre de la coordination Via Campesina, l’éleveuse dénonce un modèle inique qui lamine les petites exploitations.

Eleveuse de volaille fermière dans les Hautes-Alpes, Geneviève Savigny est membre de la coordination européenne Via Campesina qui dénonce la disparition des petites exploitations et défend un modèle agricole plus juste et solidaire.

Pourquoi cette nouvelle crise de l’élevage ?

Parce que les mêmes causes produisent les mêmes effets – les mêmes logiques engendrent les mêmes crises, les mêmes drames. L’élevage est victime d’une surproduction qui pousse les paysans à l’endettement, au chômage, au désespoir voire au suicide – une surproduction qui est le résultat de la libéralisation et de la mise en concurrence des éleveurs du monde entier avec, à l’arrivée, un nivellement des prix par le bas.

Mais il n’y a pas que l’élevage qui est touché…

Bien sûr. Prenez le lait. On a libéralisé son marché, fait disparaître les quotas, démantelés des outils entiers de régulation en faisant miroiter l’accès aux énormes marchés chinois ou russe par exemple – on se retrouve face une surproduction et un effondrement des prix. L’agro-industrie milite pour la logique productiviste qui ne favorise que les conglomérats. En Espagne, on paie les éleveurs laitiers au prix mondial, parfois à 25 centimes d’euros le litre alors qu’il faut au minimum 35 centimes pour surnager et on parle d’arrêter la collecte des plus petits producteurs dans les endroits les moins accessibles. On profite de la crise pour se lancer dans une restructuration monstrueuse. Ce qui se passe en France tient de la même logique.

Le système agricole et alimentaire actuel est-il durable ?

Il mène à l’impasse. Tout le système actuel favorise l’exportation, alors que 90 % de ce qui est produit est consommé en Europe. Toute la politique a été pensée, organisée pour favoriser l’exportation. Donc, tant que l’on ne changera pas de cadre de référence, de logique, on ira sur la multiplication des crises structurelles, des révoltes. Les instruments existants n’ont pas été à même d’éviter la crise actuelle, ils ne pourront pas prévenir les crises futures. La croyance aveugle en un grand marché mondial ne fait que laminer les petits éleveurs et les petits paysans. Le projet de traité transatlantique risque d’accentuer cette tendance. Les deux tiers de l’agriculture française sont exportés au sein de l’UE : avec la nouvelle suppression des droits de douane, c’est la France qui va être le plus pénalisée, notamment dans la viande bovine, 15 % plus chère que la viande américaine.

Plus de 25 % de fermes ont disparu en Europe en dix ans, comment enrayer cette chute ?

Il faut tout repenser. La lutte est davantage entre petits producteurs et géants de l’agrobusiness, qu’entre pays. L’Allemagne a avalé plus de 30 % de paysans en moins d’une décennie. L’industrialisation s’est faite sur la méthanisation et a favorisé la chute des prix et détruit grand nombre d’exploitations de montagne, plus assez compétitives.

Quelle est la responsabilité de la Politique agricole commune ?

Elle avait pour objectif principal d’assurer la sécurité des approvisionnements, d’accroître la production, d’assurer un revenu équitable, de stabiliser les marchés et garantir des prix raisonnables au consommateur. Cela a permis une forte diminution du budget consacré à la nourriture, mais a entraîné l’industrialisation et la standardisation de l’alimentation. La dérive libérale et court-termiste continue. A coups de subventions, la Politique agricole commune favorise toujours plus les gros producteurs avec des aides à l’hectare quasiment pas plafonnées. Il n’y a aucune réflexion sur l’alimentation et le bien-vivre, où l’objectif serait de nourrir la population de façon durable avec des bons produits – des cantines allant vers le raisonné ou le bio, des circuits courts, une production locale ou relocalisée…

Que doivent faire les politiques, à commencer par le ministre de l’Agriculture ?

Remettre à plat un «modèle» à bout de souffle qui ne pense qu’en termes de volume, de chiffre d’affaires et de spéculation. Changer le cadre culturel de la politique agricole. Renforcer le pouvoir des citoyens et des consommateurs. Le combat est inégal : à Bruxelles, ou autour des ministères, les lobbies de l’agrobusiness et les grands syndicats agricoles sont cent fois plus écoutés par les politiques que nous, qui défendons les petits producteurs, 70 % des paysans en Europe. On a en face tout un modèle dépassé qui ne pense qu’à l’argent. Et des pouvoirs publics qui ont abandonné tous les outils de régulation et sont si démunis qu’ils s’en remettent à la grande distribution, aux grands industriels qui ont prospéré sur un système inique.

Christian LOSSON

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