Jean Jouzel: «La prise de conscience se fait à partir d’événements extrêmes»

Published 17/07/2015 in Terre

A Frazier Park, Californie, en mai. (Photo AFP)

INTERVIEWLe climatologue français analyse pour «Libération» les conséquences du réchauffement.

Jean Jouzel, vice-président du groupe scientifique du Groupement intergouvernemental d’experts sur le climat (Giec), met en garde contre les sécheresses accrues dans les régions déjà arides.

La sécheresse en Californie est-elle liée au changement climatique ?

Même si elle est inédite dans sa durée, il faut être très prudent. Les Etats-Unis ont connu des sécheresses similaires au XXe siècle, comme le «Dust Bowl», qui a touché les Grandes plaines dans les années 30. On peut affirmer que les trente dernières années ont été les plus chaudes du dernier millénaire sur le globe, mais on ne peut pas être aussi catégorique pour les sécheresses : sur la même période, le dernier rapport du Giec n’établit pas de tendance claire sur le rythme de celles-ci. En revanche, les projections futures montrent une intensification des sécheresses dans les zones déjà arides, comme le pourtour méditerranéen et le Sahel, une partie de l’Australie et de l’Amérique (surtout en Californie, au Mexique et au Brésil) ou le sud de l’Afrique.

Comment expliquer cela ?

Si vous réchauffez l’atmosphère d’un à trois degrés, les régions déjà très arrosées le seront encore plus, et inversement, celles qui reçoivent déjà peu de précipitations risquent d’en recevoir encore moins. La hausse des températures y provoquera aussi une évaporation accrue des sols : les nappes phréatiques se rechargeront moins facilement, provoquant des problèmes d’accessibilité à l’eau et une compétition accrue entre ses usages (agriculture, tourisme, énergie…). Dans certaines de ces régions, les sécheresses auront des répercussions sur les récoltes, poussant les populations à se déplacer et accentuant le phénomène des réfugiés climatiques.

Quid de la France ?

Le rendement du blé a déjà commencé à stagner au cours des vingt dernières années. D’après l’Inra (Institut national de la recherche agronomique), c’est en partie dû au climat. Et cela s’aggravera, surtout dans le sud du pays, où les conséquences seront les plus dommageables, en raison de moindres précipitations. Les vignobles sont très sensibles : un réchauffement supplémentaire d’un degré aura une forte influence sur la viticulture.

Quelles solutions à court terme ?

On pourra installer des usines de dessalement sur le pourtour méditerranéen, pour fournir les populations en eau, puisque c’est la priorité. Mais c’est très énergivore et ce ne sera pas envisageable à l’échelle de l’agriculture. Les régions les plus touchées doivent se poser des questions sur leur modèle agricole, de façon à limiter les besoins en irrigation. Quant à la sécheresse en Californie, tout le monde attend El Niño. Ce phénomène océanique se met en place actuellement dans le Pacifique, or on sait que quand il est fort, il y provoque des pluies.

L’urgence, c’est le réchauffement climatique ?

Oui, il faut tout faire pour le limiter, donc pour baisser nos émissions de gaz à effet de serre (GES). L’objectif de la 21e conférence sur le climat de l’ONU (COP 21) qui aura lieu à Paris à la fin de l’année est de contenir le réchauffement à long terme à + 2°C par rapport à l’ère préindustrielle. Or ce seuil est déjà élevé et dangereux, et on comprend que certains plaident pour limiter le réchauffement à + 1,5°C. Or depuis le début de l’ère industrielle, les températures du globe ont déjà augmenté de 0,6°C. Parvenir aux + 2°C nécessite un changement complet de notre mode de développement. Il faudra laisser dans le sol plus de 80 % des réserves de combustibles fossiles (charbon, pétrole et gaz). Les scénarios nous permettant de rester sous les 2°C indiquent que nous devons agir d’ici 2020 pour diviser par deux, voire trois, nos émissions de GES d’ici 2050, par rapport à 2010. D’ici la fin du siècle, il ne faudra pratiquement plus émettre de carbone. C’est extrêmement ambitieux mais nécessaire.

Nous n’y sommes pas…

Les Etats commencent à livrer leurs contributions en vue de la COP 21, c’est-à-dire les efforts qu’ils prévoient de faire. Le total risque de ne pas être assez ambitieux, même si celle de l’Europe n’est pas mal. La France a inscrit l’objectif de division par quatre de ses émissions de GES d’ici 2050 dans le projet de loi sur la transition énergétique, qui doit bientôt être voté. Tous les pays développés devraient adopter ce type d’objectif, or ce n’est pas encore le cas.

Les événements extrêmes peuvent-ils servir d’électrochoc ?

Oui, la prise de conscience collective sur l’importance du changement climatique et ses conséquences se fait à partir d’événements extrêmes. On l’a observé en France après la canicule de 2003 : les scientifiques étaient plus écoutés. Mais nous préférons convaincre à partir d’une vision plus large, d’études, de recherches… Fin 2013, le typhon Haiyan, qui a ravagé les Philippines juste avant la 19e conférence climat à Varsovie, n’a pas empêché celle-ci d’être un échec.

Coralie SCHAUB

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