Noah Baumbach : crise de jouvence

Published 23/07/2015 in Cinéma, Culture, Portrait

Noah Baumbach (Photo Paul Rousteau)

PORTRAITLe réalisateur new-yorkais, au cinéma indépendant grinçant et sophistiqué, hésite entre maturité et jeunisme invétéré.

Noah Baumbach fait-il son âge ? A 45 ans, sous la mèche négligée, les tempes grisonnent et le sourcil circonflexe est inquiet. Veste sombre sur chemise à carreaux, tous les voyants indiquent une déclinaison de l’intellectuel new-yorkais. Y compris les New Balance aux pieds de l’Américain en voyage.

Le cinéaste, juvénile et réservé, n’a pas pris une ride depuis son dernier passage parisien il y a deux ans. Dépêché dans la capitale fin juin, il y faisait le service après-vente de son septième film, While We’re Young, comédie générationnelle grinçante sur des quadras en crise. Un documentariste bobo et sa femme (Ben Stiller et Naomi Watts) s’y découvrent largués au contact d’un couple de jeunes hipsters. Noah Baumbach lui-même s’est réveillé un jour à 40 ans. «C’est gênant, on connaît forcément son âge mais on a du mal à s’y faire, confie-t-il, incrédule. A 20 ans, déjà, on n’arrive pas à croire que l’on a fini ses études.» Il en a d’ailleurs fait à l’époque le sujet de son premier film, où des diplômés attardés se refusaient à quitter le campus.

Observant notre iPhone fissuré sur la table, il remarque d’un air entendu, «il paraît que c’est la mode». Jeunisme invétéré ? «En vieillissant, on se rend compte que des gens plus jeunes que vous font sensiblement la même chose, qu’ils sont devenus adultes et tout aussi ambitieux. Il y a une forme de cruauté dans ces rapports», lâche-t-il. Comme pour attester de ce décalage permanent avec son âge, il a élu une compagne de quatorze ans sa cadette, la comédienne sur piles Greta Gerwig. Par son truchement, son cinéma a connu, disons-le, une deuxième jeunesse.

New-Yorkais pur jus, Baumbach est un enfant de Brooklyn, pas celui des hipsters de Williamsburg ni du ghetto de Bed-Stuy mais du quartier bohème de Park Slope. Une adolescence sophistiquée passée à l’ombre des livres, qu’il a documentée dans son troisième film, Les Berkman se séparent (2005). «En grandissant, Manhattan me paraissait si loin de Brooklyn que je rêvais d’y vivre. Maintenant que j’y ai emménagé, tout le monde est reparti à Brooklyn, même mon frère !» s’amuse-t-il. Les parents écrivains sont cinéphiles, si bien qu’au lycée il fait l’acquisition d’une petite caméra vidéo. «On ne connaissait personne dans le milieu du cinéma mais mon activité a clairement un lien avec mon éducation.» Le père, Jonathan Baumbach est un romancier qu’il admire, la mère, Georgia Brown, critique au chic Village Voice dont la carrière décolle. «Grâce à eux, j’ai vu qu’il était possible de s’enfermer au sous-sol et d’en sortir en ayant produit quelque chose d’artistique, ce qui était plutôt encourageant.»

Dans son troisième film, portrait semi-autobiographique du retentissant divorce parental, le père trop radin pour payer la pension alimentaire couche avec ses étudiantes à la fac tandis que le petit frère se masturbe en public à l’école. «La sortie du film a été compliquée pour mes parents, se souvient-il en grimaçant. Les gens ne savaient pas distinguer la vérité de l’invention. Je m’inspire, certes, de ma vie mais aussi d’histoires entendues.»Il s’y représentait lui-même sous les traits d’un ado paumé et arrogant (joué par Jesse Eisenberg) fasciné par la figure paternelle.

En 2010, sept mois après la naissance de leur progéniture, il a divorcé de l’actrice Jennifer Jason Leigh, de sept ans son aînée, avec laquelle il vivait depuis cinq ans. Rupture dont il n’exclut pas de faire un jour la matière d’une fiction.

Fleuron d’une nouvelle vague de dandys comme Wes Anderson et Whit Stillman qui ont essaimé au milieu des nineties avec des tragicomédies élégantes et mélancoliques, Baumbach est peu actif à cette époque-la. «J’avais du mal à faire un film mais surtout je ne savais pas ce que je voulais ni où j’allais», analyse-t-il. Il travaille pour la télévision, et rencontre celui qui deviendra l’un de ses meilleurs amis, Wes Anderson. Cet autre francophile longiligne s’est installé à Paris, où Baumbach aimerait un jour tourner un film. Inséparables, ils écrivent à quatre mains. Les deux compères ont encore à l’heure actuelle un projet sous le coude, dont il se refuse à divulguer la teneur : «On se dit tout le temps qu’on doit le faire, et puis…» Ils ont récemment coproduit le dernier long métrage de Peter Bogdanovich, éminence grise du Nouvel Hollywood. Juste retour d’ascenseur pour ce mentor qui, comme Brian De Palma et le regretté Mike Nichols, cinéaste du Lauréat, a pris Noah Baumbach sous son aile à ses débuts.

En 2010, alors qu’il tourne à Los Angeles sa comédie dépressive Greenberg, il engage la blonde Greta Gerwig qui y joue un rôle lunaire et névrosé. Il a tout juste 40 ans, elle, 24. Depuis, ils vivent ensemble, travaillent en couple et ont écrit à deux Frances Ha (2012).

Talent burlesque et protéiforme, Gerwig a revitalisé ses films, si bien qu’ils ont déjà cosigné le prochain, «un hommage aux comédies new-yorkaises des années 80» qu’il chérissait ado. Cuisiné sur leur statut de power couple du cinéma indépendant, il minaude, secret : «C’est assez pratique, en effet…» On n’en saura pas plus.

Cet «optimiste», selon ses mots, que l’on croyait franchement misanthrope, avide lecteur de Philip Roth et Saul Bellow, se refuse à dire s’il occupe le champ laissé vacant par un Woody Allen vieillissant, celui de la comédie cérébrale à humour juif et à sensibilité démocrate. Lui qui a filmé Nicole Kidman et Ben Stiller ne crache pas dans la soupe : «Si un studio s’intéressait à ce que je fais, je serais ravi de collaborer mais pour l’instant, on ne fait pas le même genre de films.» L’auteur qu’il incarne, au sens très français du terme, est selon lui une espèce en voie de disparition aux Etats-Unis. S’il ne brasse pas encore des millions, une assistante n’hésite pas à aboyer à sa place sur le photographe de Libé qui lui demandait de s’allonger pour son portrait : «On ne veut pas s’allonger, c’est inconfortable !» Ambiance.

Entre deux ruminations sur le vieillissement précoce, comme tout New-Yorkais stressé, Baumbach fait du yoga. Le week-end, il joue aux Lego avec son fils de 5 ans auquel il a fait découvrir le Magicien d’Oz, la larme à l’œil. Sa francophilie éperdue pour Truffaut et Renoir l’a conduit à baptiser son rejeton Rohmer. «Il est encore trop petit, mais il demande qui est ce Rohmer dont il voit les affiches. Heureusement, j’ai encore le temps avant de devoir lui rendre des comptes. Pour apprécier un film d’Eric Rohmer, il faut avoir au moins 30 ans.» Question de maturité, sans doute.

1969 Naissance à Brooklyn.

1995 Kicking and Screaming. 2005  Epouse la comédienne Jennifer Jason Leigh.

1997 Rencontre Wes Anderson.

2012 Co-écrit Frances Ha avec sa nouvelle compagne, l’actrice Greta Gerwig.

22 juillet 2015 Sortie de While We’re Young.

Clémentine GALLOT

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