Des automates au rayon tomates

Published 29/07/2015 in Économie

(Photo Vincent Poinas)

ANALYSEPaiement sans contact, chariots connectés… L’hypermarché du futur prend forme. Aperçu de ce qui nous attend (ou pas).

Imaginons. Dans le tout nouvel hypermarché SystemAuchan – les enseignes Système U et Auchan ont fusionné en 2018 – de la périphérie nantaise, un seul employé suffit pour encaisser les paiements dans l’immense magasin de 25 000 m2. Les cent caisses sont toutes automatiques : le client paie par carte ou via son téléphone mobile. Des dizaines de douchettes de «self scanning» sont à disposition à l’entrée. Les consommateurs déambulent dans les allées, les yeux fixés sur l’écran tactile de leur chariot connecté. Liste de courses, promotions en cours et fils d’actualitédéfilent à l’écran. Les rayons sont toujours parfaitement achalandés grâce aux deux cents robots affectés à la préparation de commandes dans l’entrepôt adjacent à l’hyper. Sur le parking, une noria de drones décolle et atterrit pour aller livrer les adeptes du commerce en ligne.

Science-fiction ? Oui et non. Non, car les enseignes introduisent lentement mais régulièrement les machines dans leurs points de vente. Oui, c’est encore de l’ordre de la prospective car le remplacement du personnel humain par des automates fait mauvais genre pour un secteur qui se targue d’embaucher en masse. Carrefour est ainsi le premier employeur privé de France (110 000 salariés en 2014). Reste qu’automatisation et robotisation sont des tendances lourdes qui vont bouleverser les métiers de la distribution. Seule l’échéance est encore inconnue. Revue des innovations existantes et à venir.

Des caisses sans humains

Le tunnel de scanning n’a pas encore fait son apparition dans les grandes et moyennes surfaces (GMS). Avec ce dispositif, le client pose ses articles sur un tapis roulant qui traverse un tunnel équipé de scanners à reconnaissance d’image, capables d’analyser les tailles, formes et couleurs des packagings, tout en lisant codes barres ou puces RFID (à radio-identification). A l’autre bout du tunnel, il n’a plus qu’à payer sur un automate avec sa carte bancaire.

Plus besoin de personne en caisse, si ce n’est un unique employé pour surveiller le processus. Les technologies sont au point, des enseignes américaines (Walmart, Kroger) et européennes (le suédois ICA, l’allemand Rewe, l’anglais Asda) testent le concept depuis longtemps, mais aucun distributeur français n’a encore franchi le pas : installer ces machines serait une déclaration de guerre vis-à-vis des syndicats. La grande distribution ne renonce pas pour autant à automatiser ses lignes de caisses. D’une part avec les douchettes de self scanning – environ 90 000 dans les GMS – : le client lit lui-même les codes-barres et n’a plus qu’à présenter le ticket pour payer à une caisse dédiée. D’autre part avec les caisses automatiques en libre-service (6 500 en 2012 sur 200 000 postes d’encaissement). Le consommateur fait alors tout lui-même : scanner, peser, payer. Ces automates, apparus en 2005, servent avant tout à réduire l’attente en caisse (onze minutes en moyenne dans un hyper), mais aussi à faire baisser les coûts en supprimant des postes : une seule personne suffit à superviser quatre caisses en libre-service.

Une évolution lente mais continue qui serait plébiscitée par les consommateurs : 88 % des personnes interrogées utilisent l’encaissement en libre-service. Reste que pour Sophie Bernard, maître de conférences en sociologie à l’université Paris-Dauphine (1), la fin des caissiers et des caissières n’est pas pour demain. Cependant, leur travail va évoluer : moins de troubles musculo-squelettiques, mais plus de stress.

Probabilité à cinq ans : 3/10

Le paiement par téléphone généralisé

Payer ses achats avec son smartphone, selon l’Association française du sans contact mobile, c’est déjà possible dans 280 000 points de vente français équipés de terminaux NFC (near field communication ou communication en champ proche). En réalité, moins de 1 % des transactions se fait par paiement sans contact. Le consommateur français n’a pas l’air très intéressé par ce concept. D’après une étude Deloitte-Ipsos sur les usages mobiles (réalisée sur 2 000 personnes interrogées en juin 2014), 49 % des sondés déclarent qu’ils ne sont pas prêts à utiliser ce service «même si c’était aussi simple qu’avec une carte bancaire». Pourtant, payer ses courses avec son mobile est présenté comme une innovation majeure : gain de temps (pas besoin de taper son code en dessous de 20 euros), plus de porte-monnaie, choix du moyen de paiement (carte bancaire, carte de fidélité), blocage à distance de l’appli de paiement en cas de vol du mobile… La plupart des banques ont déjà sorti leurs applications : «Kix» de BNP Paribas, «m-carte» du Crédit mutuel, «paiement mobile sans contact» de la Banque postale ou «paiement mobile» de la Société générale.

Obsédés par la réduction du temps de passage en caisse, les distributeurs lancent eux aussi leurs applis : «paiement flash» de Leclerc ou «Flash’N Pay» d’Auchan. Dans les deux cas, la technologie retenue n’est pas le NFC mais la lecture d’un QR code en caisse. Ces logiciels gèrent aussi les coupons de réduction et peuvent servir à envoyer des offres promotionnelles ciblées quand le client passe devant le rayon concerné. C’est la technique du geofencing ou envoi de messages grâce à la géolocalisation.

Le décollage du paiement mobile pourrait avoir lieu l’année prochaine, quand les Apple, Google et Samsung arriveront sur le sol français avec leur propre système. A moins que les Français ne continuent de préférer leur carte à puce, invention hexagonale et fierté nationale.

Probabilité à cinq ans : 8/10

Des CHARIOTs INTELLIGENTs pour garder la forme

Lourd, encombrant et peu maniable, le chariot n’a pas évolué depuis un demi-siècle. Mais avec le numérique, il devient intelligent. Équipé d’un écran tactile (ou d’une tablette) et d’un GPS, il peut devancer les actions du consommateur en analysant ses déplacements, suggérer des produits en fonction de sa liste de course téléchargée au préalable, proposer des promotions via la géolocalisation, voire enregistrer directement les achats et procéder au paiement.

En 2011, l’enseigne anglaise Sainsbury’s, associée à la chaîne de télé Sky, a testé des chariots avec un support pour iPad. Objectif : distraire le chaland pendant son shopping. Un an plus tard, la chaîne américaine de magasins bio Whole Foods expérimentait un modèle avec une tablette équipée du système de reconnaissance de mouvement Kinect de Microsoft. Le SmartCart reconnaissait le consommateur grâce à sa carte de fidélité, pouvait le suivre dans les rayons du magasin et le conseiller dans ses achats, par exemple en cas d’allergie à un aliment. En France, Auchan a dévoilé un prototype en 2013 avec la société lilloise Phoceis. L’application «compagnon shopping» est une liste de courses collaborative, complétée par chaque membre du foyer, et consultable sur son smartphone ou sa tablette fixée sur le chariot.

Aucun de ces trois essais n’a été généralisé, sans doute en raison du coût prohibitif de ces systèmes. Quant au leader mondial de la distribution, l’américain Walmart, il a testé cette année au Costa Rica «the Healthy Shopping Cart», pour rester en bonne santé : une tablette munie de capteurs calcule la distance parcourue dans le point de vente, le rythme cardiaque et le nombre de calories brûlées. Et elle recommande les produits pauvres en graisses. Une innovation que Walmart devrait plutôt introduire aux Etats-Unis, pays où deux tiers des adultes sont en surpoids ou obèses.

Probabilité à cinq ans : 5/10

UNE LOGISTIQUE AUX «MAINS» DES ROBOTS

Avant de vendre les produits dans les grandes surfaces, il faut les acheminer, les stocker et les trier. C’est le rôle de la logistique ou «supply chain» (chaîne d’approvisionnement), un secteur qui fait travailler 800 000 personnes en France. Des emplois bientôt menacés par l’arrivée des robots. Amazon mène la danse avec ses essais de mini-drones pour la livraison de petits colis (2,2 kg) en zones urbaines. Pour l’instant, cette pratique est prohibée aux Etats-Unis comme en France, mais la loi pourrait évoluer. En revanche, rien n’interdit d’utiliser des robots dans les entrepôts. Plus de 15 000 robots Kiva, entreprise rachetée par le géant du e-commerce en 2012, ont été installés à Noël dans dix entrepôts d’Amazon sur cinquante pour augmenter les cadences. Et, accessoirement, faire baisser d’un cinquième les coûts d’exploitation. Ces automates de 145 kg ressemblent à de gros aspirateurs. Munis de roues et de capteurs, ils se glissent sous les rayonnages, les soulèvent et les apportent au manutentionnaire. Avantage : ce ne sont plus les employés qui vont chercher les produits à trier – vingt kilomètres de marche par jour – mais les produits qui viennent à eux. Les robots Kiva sont là pour aider les employés humains.

Mais d’autres modèles arrivent qui pourraient bien les remplacer. La start-up californienne Fetch Robotics a ainsi créé Fetch, un automate unibrassiste, et Freight, une base roulante. Le duo robotique peut attraper des produits sur les étagères puis les convoyer jusqu’à la zone de chargement. D’après la société californienne, Fetch et Freight n’ont pas été conçus pour remplacer les employés, mais pour augmenter la cadence de livraison, tout en minimisant les tâches répétitives. Néanmoins, on ne voit pas bien pourquoi les distributeurs et leurs prestataires se gêneraient pour éliminer des postes humains au profit de ces travailleurs infatigables, non syndiqués et jamais malades.

Probabilité à cinq ans : 6/10

Si faire ses courses relève parfois du cauchemar (attente aux caisses, double manipulation des produits, répétition), les enseignes travaillent sur des innovations pour simplifier la vie du consommateur. Les progrès dans la robotisation et le traitement des données sont en train d’accélérer l’avènement du supermarché du futur, avec de moins en moins d’humains derrière les rayons, un cauchemar en cachant peut-être un autre.

(1) Travail et automatisation des services. La fin des caissières ?, Octarès 2012.

Patrick CAPPELLI

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