Alex Kapranos : Rock en cène
PORTRAITEn tournée mondiale pour un nouvel album, le chanteur du groupe Franz Ferdinand et auteur culinaire se bonifie avec l’âge.
Quelle est la date de péremption d’un rocker ? En la matière, l’âge ne fait pas tout. Iggy Pop, 68 ans, présente encore assez bien torse nu, alors que le passage tardif de la puberté est souvent fatal (le naufrage des Kooks). A 43 ans, Alex Kapranos, leader de Franz Ferdinand, semble bien parti pour durer. Quand on le rencontre avant son concert parisien (complet) au Bataclan, l’homme est sympathique et courtois, jamais dépourvu d’humour ni de flegme. On dirait même qu’il se bonifie avec l’âge.
Le Britannique touche-à-tout ne semble jamais à court de bonnes idées. La dernière en date prend la forme d’une collaboration avec Sparks, duo californien incontournable des années 70. Ensemble ils ont formé un supergroupe (FFS, acronyme de Franz Ferdinand Sparks), auteur, en juin, d’un album non moins super, où le rock des Ecossais est heureusement galvanisé par les tendances glam et disco des Américains. Même si plusieurs décennies les séparent (Sparks faisait fureur quand Kapranos apprenait à ramper), ils partagent la même vision de la pop : «Une bonne chanson doit être légère, avec des mélodies efficaces, des paroles immédiates. Mais au-delà de la dimension superficielle, Ron et Russell Mael [les frères fondateurs de Sparks, ndlr] vont chercher plus loin», devise Kapranos. Pas de niaiserie donc chez FFS, mais une ambiance sombre, cinématographique, teintée de la voix distante de Kapranos qui semble se moquer de tout – sentiment corroboré par la présence du titre Collaborations Don’t Work sur l’album.
L’humour ressort aussi dans son écriture. A la demande du quotidien britannique The Guardian, Kapranos a tenu un journal de bord de ses expériences culinaires en tournée. Ces chroniques ont fait l’objet d’un livre. On y apprend que rien ne dégoûte Alex l’intrépide, pas même la vue d’un pigeon ratatiné par une voiture à Paris alors qu’il entame une salade de gésiers. Il n’écrit plus aujourd’hui. «En interview, on ne me posait plus que des questions sur la cuisine alors que je voulais parler musique», s’amuse-t-il. Avant d’avouer : «J’ai écrit ces chroniques pour passer le temps sur la route, entre les moments intenses et géniaux de scène.»Il n’arbore pas l’uniforme du rocker (perfecto obligatoire), il est élégant dans un costume sombre, dévergondé par l’absence de cravate et une chemise discrètement fantaisiste de chez Kenzo. Il s’intéresse à la mode, admire Alexander McQueen, «un homme radical qui se fichait d’où ses idées le mèneraient» [au suicide, ndlr]. Evidemment, il évoque aussi «Hedi». «Sa vision forte de la mode a, un temps, influencé la planète entière.» Alex Kapranos fait référence à l’engouement pour le vestiaire rock que Hedi Slimane, alors directeur artistique chez Dior Homme, avait popularisé au milieu des années 2000.
Alex Kapranos est un rescapé de cette époque. Le premier album de Franz Ferdinand est sorti en 2004, quand les innombrables boy bands rock’n’roll étaient portés aux nues avec un enthousiasme qui a n’a eu d’égal que la rapidité avec laquelle ils tombèrent dans l’oubli. L’Ecossais, qui n’aime pas être associé à la scène britannique des années 2000, rationalise la longévité de FF : «Contrairement à d’autres, notre but n’était pas uniquement de passer à la radio. Tant pis si j’ai l’air arrogant, mais peut-être qu’on écrivait de meilleures chansons.» En outre, à cette époque, Alex et sa bande, la trentaine entamée, n’étaient plus des néophytes, et avaient eu l’occasion de se rétamer avant.
Il est disert sur ses années de galère. La peur de l’échec lui fait embrasser un cursus universitaire curieux. Au moment d’entrer à la fac, il veut se consacrer à la philo, mais pour cela, il faut passer une épreuve de maths qu’il redoute. «A 16 ans, j’étais trop arrogant pour faire l’effort de réviser.» Au hasard des inscriptions, il se retrouve en théologie, où il tient un an. La même logique de paresse conduit ses premières tentatives musicales. Lorsqu’il joue de la guitare avec son ami d’enfance, Andrew, avec lequel il partage un amour pour les Beatles, il connaît assez peu d’accords. Plutôt que d’en apprendre de nouveaux, il écrit des chansons avec ceux qu’il maîtrise.
Si le jeune homme ne souhaite pas prendre le risque d’échouer sur le plan intellectuel, et se cantonne à ce qu’il sait faire, il est beaucoup moins regardant quand il s’agit de gagner sa croûte. «Il fallait payer le loyer», répète à plusieurs reprises celui qui ne voulait pas compter sur les ressources de son père professeur en droit et de sa mère couturière pour financer ses élans artistiques. A Glasgow, il a donc été soudeur, barman au 13th Note (pub où se retrouvait toute la scène indé, de Belle and Sebastian à Mogwai), livreur de plats indiens en Fiat Panda. «Le plus bizarre était sans doute celui où, déguisé en Hannibal Lecter pour un spectacle, je devais pourchasser tout le monde sur scène. Au début, je trouvais ça formidable, d’autant que j’étais payé 7 livres de l’heure – une aubaine ! Puis, c’est devenu horrible, comme tous les jobs répétitifs.» I l a aussi été cuisinier, métier qui requiert, d’après lui, les mêmes dispositions d’esprit que celui de chanteur : «Il faut avoir du mal avec l’engagement.» Alex Kapranos n’a ni alliance, ni enfant, seulement une «girlfriend» dont il ne veut pas parler.
Son premier groupe, The Karelia, n’est pas exactement un succès : «J’avais 25 ans quand j’ai été signé pour la première fois sur un label [en 1997, ndlr], et j’ai été jeté après avoir vendu 300 exemplaires.» Rétrospectivement, il voit le bon côté de cet échec. Son renvoi lui fait alors penser qu’il est trop vieux pour gagner sa vie en tant que musicien. Il décide de continuer à composer pour le plaisir, sans objectif de rentabilité. «Ça a purifié ma relation à la musique.» Juste avant de percer avec Franz Ferdinand, il dégote une place de chargé de TD à la fac. Le garçon est sérieux (une caractéristique raccord avec son statut d’aîné), il hésite à refuser le job pour devenir une rockstar. Du reste, une autre réticence le retient : «Je pensais que le chanteur d’un groupe devait être la personne sur laquelle tout le monde se retourne dans une soirée.» Et Kapranos, qui a atteint la puberté «très tardivement» et était «le dernier à [s]e raser», est d’un naturel introverti. Sur scène, dans les petits bars de Glasgow, il attend que ça se passe : «Je chantais et je jouais de la guitare, mais j’avais l’impression que le leader devait être quelqu’un d’autre.» Le déclic se produit vers 26 ans, quand soudain il «n’en (a) plus rien eu à foutre d’avoir l’air con». Alex Kapranos confirme la règle selon laquelle ce sont bien les personnes les moins cool à l’école qui finissent par devenir les vraies stars.
1972 Naissance en Angleterre.
2004 Premier album de Franz Ferdinand.
Mars 2015 Franz Ferdinand, la tournée des grands-ducs (éd. du Rouergue).
8 juin Album avec Sparks sur le label Domino, suivi d’une tournée mondiale.
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