A La Courneuve, le plus vieux bidonville d’Ile-de-France menacé d’expulsion

Published 10/08/2015 in Société

Le Samaritain, campement dans une zone industrielle de La Courneuve, le 10 août. (Photo Denis Allard. Réa pour Libération)

RÉCIT + DIAPORAMALe projet de sortie progressive, monté par des associations et des chercheurs avec les 300 habitants du lieu, n’est pas crédible pour la mairie communiste.

Depuis 2008, le bidonville du Samaritain à La Courneuve (Seine-Saint-Denis) a réussi à planter quelques racines en bordure de la voie du RER B et de l’A86. Depuis cette date aussi, s’est dessiné autour de ses 300 habitants, Roms et Roumains pour la plupart, un projet inédit de résorption progressive, avec tout un travail technique et social mené par des militants, des associatifs et des chercheurs. «Une proposition de sortie en trois ans élaborée à partir du terrain», résume Grégoire Cousin, l’un d’entre eux. Mais pour rien : la mairie de La Courneuve ne voit pas d’autre solutions que l’expulsion.

En principe, dès le 15 août, elle sera possible. Le camp a reçu le 6 août la visite d’un officier de police assurant que les baraques devraient avoir disparu avant la tenue de la COP21, la conférence climat. Planqué sous les arbres, le campement est pourtant peu visible et le risque que les participants veuillent visiter cette zone entre usines et décharge est faible.

Mais le risque que les habitants du Samaritain en soient éjectés, lui, paraît bien réel à ceux qui soutiennent le camp. Un collectif dans lequel on trouve, entre autres, Médecins du Monde ou la Fondation Abbé Pierre. D’autres organismes, comme la délégation interministérielle à l’hébergement et à l’accès au logement mais aussi les étudiants de l’école d’architecture de la Villette ou la Cité de l’architecture et du patrimoine sont partenaires du projet. Ils ne se sont pas contentés de défendre les habitants. Ils ont aussi élaboré avec eux un plan de sortie progressive plutôt inédit dans ce domaine. Entre l’abandon des populations concernées à leur sort et leur éjection pure et simple, le collectif tente de dessiner une troisième voie. Une voie pragmatique. 

«Rassemblement d’intelligence collective»

Les premiers occupants du bidonville ont échoué à côté d’une décharge sauvage dont les 1 500 mètres cubes de déchets sont toujours là. «Leur évacuation est la première des choses à faire. Médecins du Monde et la Fondation Abbé Pierre veulent bien y procéder, explique Saskia Cousin, membre du collectif. Mais il lui faut l’accord du maire.» Qui ne le donne pas.

Un plan d’assainissement de retrait de ces ordures, de bloc sanitaire, de sécurisation des lieux a été élaboré. Des ONG et des associations ont travaillé sur l’accompagnement social, l’accès aux soins, la scolarisation et la formation. «Il y a un rassemblement d’intelligence collective et d’énergie autour du Samaritain. La mairie de La Courneuve a cette espèce de richesse entre les mains et ne veut rien en faire», déplore Pierre Chopinaud, de l’association la Voix des Roms.

L’intelligence collective se voit aussi dans les lieux. En édifiant leurs cabanes les unes à côté des autres, les habitants ont créé une, puis deux, puis trois rues. Les ont jointes par une place centrale. Et ont édifié une église centrale, grande salle à base de poteaux et poutres de récupération, richement décorée de rideaux et de festons. Un urbanisme vernaculaire. Un jour de l’hiver dernier, les musiciens de l’Orchestre de chambre de la ville de Paris ont donné un petit concert dans l’église. Un autre, ce sont les congressistes du colloque de la Cité de l’architecture et du patrimoine sur «un monde global de camps» qui sont venus.

«Plan national» ou «initiative locale» ?

Pour la mairie, tout cela ne change rien à la réalité. «La Courneuve a été confrontée comme très peu de villes en France à cette question, dit Jean-Luc Vienne, directeur de cabinet du maire communiste, Gilles Poux. En 2013, nous avions jusqu’à 11 lieux de campements et cela représentait 15% de la population de la commune.» Une réunion en février avec le sous-préfet chargé de la question des campements illicites a débouché sur l’engagement de ne procéder à une évacuation que si des solutions de relogements étaient trouvées avant. «Aujourd’hui, à notre connaissance, les choses ne se sont pas mises en place», reconnaît Jean-Luc Vienne.

En édifiant leurs cabanes les unes à côté des autres, les habitants ont créé une, puis deux, puis trois rues. Les ont jointes par une place centrale. Et ont édifié une église centrale, grande salle à base de poteaux et poutres de récupération.

(Photo Denis Allard. Réa pour Libération)

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Pourquoi alors ne pas s’appuyer sur le travail du collectif ? «Personne au niveau de l’Etat ne soutient leur projet, affirme-t-il. Quand des associations accompagnent des familles vers l’emploi, les résultats sont catastrophiques s’il n’y a pas la puissance publique derrière.»

La Courneuve estime que l’effort «porté par une poignée de communes» doit être réglé par «un plan national d’urgence». «Si demain il existe, nous en prendrons notre part», dit Jean-Luc Vienne. Les défenseurs du Samaritain plaident, eux, que la solution est «d’abord d’initiative locale». Réparer l’existant ou changer le système ? Deux philosophies mais l’une d’elles deviendra la réalité des habitants du Samaritain.

Mis en ligne le 10 août à 18h09, modifié le 11 août à 8h50.

Sibylle VINCENDON

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