Vol MH370, des détectives d’initiative privée

Published 06/08/2015 in Monde

Des Réunionnais à la recherche de nouveaux débris du MH370, mardi, sur la plage de Saint-André. (Photo Richard Bouhet. AFP)

PROFILSProche de disparus, passionnés d’aviation ou scientifiques bénévoles, ils enquêtent de leur côté sur la disparition du Boeing 777 de la Malaysia Arlines.

Ils sont scientifiques, spécialistes en sécurité aérienne, quand ils ne sont pas eux mêmes membres des familles de victimes. Leur point commun : essayer de comprendre pourquoi le Boeing 777 effectuant le vol MH370 entre Kuala Lumpur et Pékin a mystérieusement disparu le 8 mars 2014. Leur particularité : ils ne font pas partie des enquêteurs officiels mais les poussent parfois à agir. Depuis la découverte d’un débris d’avion la semaine dernière, ils ont redoublé d’efforts. La justice française a affirmé mercredi avoir de «fortes présomptions» qu’il s’agit bien d’un morceau du Boeing disparu. Alors qu’une nouvelle pièce du puzzle apparaît, les enquêteurs amateurs racontent à Libération leurs méthodes et motivations.

Ghislain Wattrelos, sa famille décimée

Ghislain Wattrelos a «zéro confiance en la Malaisie». Depuis la disparition du vol MH370 et, avec lui, de sa femme et deux de ses enfants, l’homme de 50 ans se démène pour savoir ce qui s’est passé ce 8 mars 2014. L’avion décolle à 00 h 41 (heure locale) de Kuala Lumpur, direction Pékin. A 1 h 21, il sort de l’espace aérien malaisien. «All right, good night Malaysia 370.» Puis plus rien. Une heure plus tard, à 2 h 22, le Boeing 777 sera repéré par des radars militaires à des centaines de kilomètres à l’ouest de son itinéraire prévu.

Quatre Français sont à bord. La justice française est donc compétente. Ghislain Wattrelos dépose une plainte en France pour actes terroristes. La justice ouvre une enquête pour homicide involontaire.

Nouvelle action en mai 2014. La famille se constitue partie civile pour forcer l’ouverture d’une information judiciaire et la nomination d’un juge indépendant. Le parquet refuse toujours la qualification de terrorisme, mais requalifie en «détournement d’avion». Ce n’est qu’en juin 2015, après une procédure d’appel des familles, qu’un juge d’instruction du pôle antiterrorisme sera finalement nommé, plus d’un an après la disparition. Soit «autant de temps perdu», regrettait récemment Ghislain Wattrelos ( lire Libération du 13 mai). Ses efforts n’auront pas été vains, surtout maintenant que des débris ont été découverts sur le territoire français. «Je suis content que ces débris soient en France, mon pays va pouvoir faire quelque chose et s’impliquer», disait-il mardi, avant de connaître les premiers résultats de l’expertise, réalisée par le laboratoire Techniques aéronautiques de la délégation générale de l’armement. Ghislain Wattrelos a tiqué sur ce point, «surpris que ce soit l’armée» qui en ait la responsabilité. Des experts, civils, du Bureau d’enquêtes et d’analyses (BEA) ont aussi participé à l’expertise du morceau d’aile retrouvé.

En parallèle de ses démarches auprès de la justice française, Ghislain Wattrelos s’est associé à d’autres familles de victimes pour lancer un appel aux dons et financer une équipe d’investigateurs privés, ainsi qu’une récompense aux éventuels témoins. La somme récoltée, 100 000 dollars (91 667 euros) sur les 5 millions visés, n’a finalement pas permis d’aller beaucoup plus loin, et l’enquête des privés n’a pas donné grand-chose pour l’instant. Ghislain Wattrelos n’a pas abandonné pour autant. Il mobilise ses contacts et les «amis d’amis d’amis». Il continue aussi de disséquer les quelques informations disponibles pour en pointer les faiblesses et dénicher toutes les incohérences.

Xavier Tytelmanle fan d’avions

Le 29 juillet, Xavier Tytelman est l’un des premiers en France à recevoir les photos du débris d’aile d’avion retrouvé à la Réunion, transmises par un journaliste pour analyse. Immédiatement, il les compare avec des centaines de clichés d’avions, consulte d’autres spécialistes et revient le même jour avec cette question, partagée près de 800 fois sur Twitter : «Similitudes incroyables entre le flaperon d’un B777 et le débris retrouvé ce matin à la Réunion… MH370 ?» Depuis, il enchaîne les plateaux télé et radio.

«On a identifié le morceau mais les enquêteurs y seraient rapidement arrivés aussi», glisse-t-il modestement une semaine plus tard. Ce Franco-Belge de 33 ans fait partie de la petite communauté des «AvGeeks», terme désignant les passionnés d’aviation. «Nous sommes une quarantaine à échanger en ligne sur un forum privé. On parle des enquêtes, mais aussi du reste de l’actualité du secteur aéronautique. Il y a des spécialistes de tous les domaines : pilote, contrôleur aérien, technicien, et même un membre de la police scientifique», décrit-il.

Lui-même est un ancien radariste, chargé de la sécurité à bord des avions de patrouille de l’armée de l’air. Revenu à la vie civile, il a exercé comme consultant pour plusieurs équipementiers avant de rejoindre une administration de l’Etat. Sur son temps libre, il délivre aussi des formations contre la peur de l’avion et enquête sur les crashs.

«J’analyse chaque nouvel accident pour me préparer aux questions que les stagiaires vont me poser. L’aviation est quelque chose d’extraordinaire, et ils sont souvent rassurés de savoir que le dernier crash n’est pas dû à un problème technique», raconte Tytelman. Le Rio-Paris ? «J’ai suivi avec beaucoup de douleur car nous sommes restés longtemps sans réponse.» Le vol MH17 abattu l’an dernier en Ukraine ? «Ça m’énervait de voir les Russes mettre en cause un avion de chasse ukrainien alors que ce n’était techniquement pas possible.» Le 11 septembre 2014, il publie sur son blog (1) un long article pointant les incohérences de cette thèse.

Rebelote le 30 juillet, où il revient étape par étape sur le mystère MH370. La piste du détournement est pour lui la seule qui «ne peut pas être démontée». «Je n’ai accès qu’à des données publiques, précise-t-il. Sauf qu’analysées par des spécialistes, elles peuvent confirmer une hypothèse.» Xavier Tytelman est parfois contacté par des familles de victime. Sur l’accident d’AirAsia de décembre, il aurait même aidé la justice française. Il s’étonne cependant qu’un domaine aussi scientifique continue à alimenter autant les théories du complot. «Et je ne vous parle pas de ceux avançant des choses techniquement fausses pour vendre des livres.»

(1) blog-peuravion.fr

Duncan Steel, le défi scientifique

Quelques jours après le crash, Duncan Steel comprend que quelque chose cloche dans la carte présentant l’analyse des données satellitaires du vol MH370. Duncan Steel est astrophysicien. «De par mon expertise en recherches spatiales, je sais qu’aucun satellite géostationnaire n’est véritablement géostationnaire, l’analyse des données faite à cette époque était donc imparfaite», raconte-t-il à Libération. Mais elle est cruciale pour tenter de retrouver l’avion. Même lorsque tous ses systèmes de communication vers l’extérieur ont été coupés, le Boeing a continué à «répondre» à un satellite, indiquant simplement qu’il se trouvait dans sa zone de couverture. C’est à partir de ces données, couplées à d’autres paramètres (comme les signalements de radars, la quantité de carburant…), que la zone de recherche a été définie.

Duncan Steel publie le 24 mars 2014 un premier article sur son blog (1) au sujet du MH370. Il en écrira des dizaines, soixante-quatre à ce jour. «Il y a un an, j’y consacrais trente ou quarante heures par semaine», précise le scientifique de 60 ans installé en Nouvelle-Zélande.

Bientôt, d’autres chercheurs du monde entier le rejoignent, d’abord en commentant les publications sur son blog, puis en se constituant en un «groupe indépendant» – le nom qu’ils se sont attribué. Ils sont aujourd’hui une petite vingtaine, des membres aux compétences différentes et complémentaires : aviation, communications satellitaires, consommation de carburant, pilotage… Tous bénévoles, motivés par le défi scientifique, mais surtout le désir «d’aider ces gens dans le malheur à comprendre ce qui s’est passé», dit Duncan Steel. «Nous regardons par-dessus l’épaule des enquêteurs officiels et faisons nos propres suggestions», poursuit-il, se défendant de toute relation conflictuelle avec ces derniers.

Le mystère du MH370 a excité des complotistes de tous bords. Eux s’en tiennent à de rigoureuses analyses, graphiques et équations à l’appui. Duncan Steel insiste : ils n’ont rien en commun avec «les farfelus qu’on peut voir ailleurs».Les familles des victimes «apprécient leurs efforts», affirme-t-il. Le groupe ne les ménage pas : depuis la découverte des premiers débris, ils ont relancé leurs recherches. «Ces derniers jours ont été frénétiques», ajoute l’astrophysicien enquêteur.

(1) duncansteel.com

Pierre ALONSO et Gabriel SIMÉON

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