Climat : Obama va au charbon

Published 04/08/2015 in Terre

Une mine de charbon dans le Wyomning. (Photo Jim Urquhart. Reuters)

DÉCRYPTAGELe président américain a annoncé lundi un vaste plan de réduction des gaz à effet de serre. Les centrales électriques sont visées mais pas les transports, ni l’industrie.

Moins de charbon, plus de renouvelables : la fi­nissante administration Obama veut redessiner le paysage énergétique américain. Le Président devait annoncer lundi soir son «plan pour une énergie propre», piloté par l’EPA (Environmental Protection Agency). Le texte, détaillé dimanche dans le Washington Post, fixe des objectifs à l’horizon 2030 pour lutter contre les émissions de gaz à effet de serre (GES) liées à la production d’électricité. C’est le «coup d’envoi d’une offensive tous azimuts en faveur du climat», s’enorgueillit la Maison Blanche. Une avancée notable, en tout cas, dans la lutte contre le changement climatique du deuxième plus gros émetteur mondial de GES (après la Chine), à quatre mois de la COP21, la conférence internationale sur le climat, à Paris. Cette dernière doit accoucher d’un accord international de réductions d’émissions pour limiter la hausse des températures.

Quelles sont les ambitions du plan américain ?

Le texte, une série de règles et de réglementations environnementales, impose aux centrales électriques du pays une baisse globale de 32 % de leurs émissions carbone en 2030 par rapport à celles de 2005. Le pourcentage varie d’un Etat à l’autre, selon le mix énergétique (répartition des différentes sources d’énergie consommées) de chacun. Certains ont déjà bien enclenché cette transition. «Les centrales électriques sont la principale source de pollution par le carbone nocif qui contribue au changement climatique», a expliqué Barack Obama dans une vidéo diffusée dimanche. Selon l’EPA, la production d’électricité aux Etats-Unis est responsable de 37 % des émissions de dioxyde de carbone du pays (contre 31 % pour les transports, 15 % pour l’industrie). «Mais jusqu’ici, il n’y avait pas eu de réglementation fédérale pour limiter la pollution que ces centrales déversent dans l’atmosphère», regrette le président des Etats-Unis. Le plan d’Obama vise la fermeture d’environ un tiers des centrales américaines. Et l’amélioration de l’efficacité de celles restantes, pour produire plus d’électricité avec moins d’émissions de GES. «Ce plan vient à un moment opportun, salue Célia Gautier, du Réseau Action Climat (RAC). Obama avance petit à petit, mais ce premier pas est le plus significatif jamais fait par une administration américaine.»

Il y a tout de même des nuances à apporter : il concerne uniquement les émissions liées à la production d’électricité (et pas aux transports, à l’industrie…). Surtout, «ses ambitions restent bien en-deçà de la responsabilité historique des Etats-Unis dans les émissions mondiales», déplore Célia Gautier.

Obama déclare-t-il la guerre au charbon ?

Le charbon a longtemps dominé la production d’énergie aux Etats-Unis. Aujourd’hui, plus de 500 centrales électriques au charbon alimentent le pays. C’est la première source d’énergie dans une vingtaine d’Etats, du Wyoming à l’Utah, en passant par l’Arizona. Si le plan pour une énergie propre est mis en application, la part de ce combus­tible dans la production d’électricité aux Etats-Unis passera de 39 % en 2014 à 27 % d’ici quinze ans.

Le projet d’Obama ne fait que capitaliser sur une tendance déjà existante : la part du charbon dans le mix énergétique diminue ces dernières années, concurrencé par des renouvelables plus compétitifs – le coût de l’éolien aux Etats-Unis a été divisé par deux depuis 2009 – et un gaz naturel bon marché issu des schistes du pays. D’ailleurs, selon le plan, la part du gaz naturel dans la production d’é­lectricité restera à 30 % d’ici à 2030 (20 % pour le nucléaire). L’administration Obama n’encourage pas non plus le recours aux schistes : «Le boom est passé et les schistes, même s’ils émettent deux fois moins que le charbon, ne sont pas une énergie ­décarbonée, rappelle Célia Gautier. Le plan considère que les schistes ne sont pas la solution pour la transition énergétique.»

Quelle sera la place des renouvelables ?

Selon le plan, les énergies renouvelables (solaire, éolien, biomasse) devront peu à peu prendre la place du charbon. Leur part dans la production d’électricité passerait à 28 % en 2030, contre 11 % aujourd’hui. Les régimes d’incitation aux renouvelables ne semblent pas encore fixés. Mais la Maison Blanche a déjà proposé des mesures dans ce sens, notamment via un fonds de 4 milliards de dollars (environ 3,6 milliards d’euros), le Clean Power State Initiative Fund. La compétitivité des énergies renouvelables pourrait, à elle seule, inciter les Etats à investir dans l’éolien ou le solaire. Et selon les projections de l’Agence d’information sur l’énergie (EIA) américaine, les capacités des nouveaux équipements éoliens ­installés en 2015 dépasseront les ­nouvelles capacités du gaz.

Le plan va-t-il changer le prix de l’électricité ?

L’administration Obama promet aux foyers américains une baisse de leurs factures d’électricité, avançant même le montant précis de 85 dollars (77 euros) économisés chaque année, une fois les objectifs atteints. Les opposants, notamment chez les industriels et dans le camp républicain, affirment au contraire que ce plan pour une énergie propre va faire augmenter le prix de l’électricité d’au moins 10 %, et surtout pour les populations «les plus vulnérables du pays», estime la National Rural Electric Cooperative Association, qui alimente en électricité les zones rurales. Le Washington Post, lui, rappelle que «des études indépendantes ont produit des estimations radicalement différentes sur son coût potentiel, de négligeable à ­onéreux».

L’Etat fédéral peut-il imposer ce plan aux Etats?

Oui, affirme la Maison Blanche, qui s’appuie sur une décision de la Cour suprême datant de 2007. Donnant tort à l’administration Bush, la cour avait alors jugé que les GES étaient des «polluants». Elle avait estimé que l’EPA avait autorité pour réguler les émissions de gaz à effet de serre, en vertu du Clean Air Act de 1963. Les détracteurs, eux, dénoncent un abus de pouvoir du gouvernement fédéral. Ils affirment que l’autorité de l’EPA se limite strictement à contrôler les émissions des centrales, en aucun cas à influer sur la politique éner­gétique de chaque Etat. Or, pour atteindre les objectifs fixés par le plan d’Obama, de nombreux Etats n’auront pas d’autre choix que de transformer en profondeur leur mix énergétique, en aug­mentant notamment la part du ­renouvelable.

Qui sont les opposants ?

Républicains, groupes industriels, Etats qui dépendent du charbon… La liste est longue. Les procureurs de plus d’une douzaine d’Etats américains sont déjà prêts à attaquer en justice ces nouvelles régulations. Selon les experts, la moitié des Etats pourraient se joindre à cette bataille judiciaire qui se terminera sans doute devant la Cour suprême. Elu du Kentucky – l’un des plus gros producteurs de charbon du pays –, le sénateur McConnell, chef de la majorité républicaine au Sénat, a appelé tous les gouverneurs à refuser d’appliquer ce plan. Quant aux prétendants à l’investiture ­républicaine pour la présidentielle de 2016, ils accusent la Maison Blanche de partir en «guerre contre le charbon». Marco Rubio, Jeb Bush, Scott Walker, Ted Cruz : tous dénoncent un projet «abusif» et ­«irresponsable».

Pourquoi Obama fait-il ces annonces maintenant ?

Comme tout président américain en fin de mandat, Barack Obama se soucie à présent de son héritage politique. Le deal avec l’Iran et le rapprochement avec Cuba en font ­partie. Le climat également. «Le changement climatique n’est pas le problème de la prochaine génération. Il ne l’est plus», a martelé ce week-end le Président. A quelques mois de la COP21, Obama espère être celui qui aura enfin engagé l’Amérique sur la voie d’un monde plus vert. Certains reprochent au président démocrate, au pouvoir depuis sept ans, d’avoir trop attendu. Mais lors de son premier mandat, il a préféré utiliser son capital politique pour faire adopter l’«Obamacare», la pierre angulaire de son administration. Pendant longtemps, il a par ailleurs espéré qu’il serait possible de s’entendre avec les républicains pour légiférer sur le changement climatique. Face à l’obstination de ces derniers, il opte désormais pour le passage en force.

Quel est le bilan d’Obama en matière de politique climatique ?

Les ambitions de Barack Obama depuis sa réélection en 2012 contrastent avec le manque d’audace de son mandat précédent. Certes, des incitations financières ont bien permis le développement du solaire et de l’éolien, les standards imposés en matière d’économie de carburant dans l’automobile commencent à faire effet et la construction d’un premier parc éolien offshore vient de démarrer. Mais ce sont des mesurettes face au défi climatique. Changement de ton pour son ­second mandat : en novembre, Washington parvient à convaincre Pékin de s’engager à ses côtés. Les objectifs annoncés par les deux puissances sont salués comme une importante contribution au sommet de Paris. Reste que l’engagement américain (de 26 % à 28 % de réduction de leurs émissions de GES entre 2005 et 2025) est encore bien modeste comparé à celui de l’Union européenne (40 % par rapport à 1990). Et largement insuffisant aux yeux des scientifiques.

Isabelle HANNE et Frédéric AUTRAN Correspondant à New-York

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