C’est vraiment pas de bol

Published 07/08/2015 in Vous

En 11976, c’est chapeau melon et bol de cuivre pour Joanna Lumley, alias Purdey. (Photo Prod DB. ABC TV. DR)

CHEVEUX VOUS DIRE (1/6)Arborée par Lena Dunham, Louise Bourgoin, voire David Pujadas, la coupe à la Du Guesclin n’en finit pas de revenir. C’est pourtant celle qui valut à Jeanne d’Arc d’être rasée avant de griller sur le bûcher.

On l’a vue l’an dernier sur Beyoncé, nouvelle icône féministe pour certains (sur Rihanna aussi) – elle traîne sur les podiums en 2015, version courte et un peu rasée sur les côtés (on dit slide cut) en apôtre du féminin-masculin – Lena Durham, exubérante Hannah et auteure de la série Girls, l’arbore en platiné. De quoi parle-t-on ? Eh bien de l’inoxydable coupe au bol, qui a fait un long parcours, du politique de Jeanne d’Arc à la hype actuelle, de Purdey in Chapeau melon et Bottes de cuir à l’inusable Mireille Mathieu. Et Marion Cotillard, et Heidi Klum, et Renée Zellweger (peut-être pour détourner l’attention de ses égarements chirurgicaux), et la belle Louise Bourgoin… David Pujadas aussi, en version un peu méchée très personnelle. La coupe à la Du Guesclin n’en finit pas de revenir depuis les années 90, où elle faisait figure de star (Charlotte Gainsbourg n’en a-t-elle pas arboré une ?).

On l’appelle aujourd’hui le néo-bol pour les hommes – comprendre non pas le bol Playmobil, mais le bol libéré de toute contrainte aux mèches un peu folles, un bol fou quoi, qui nous arrive des années 60 (voir les Beatles, revisités par Justin Bieber et son bol qui les rend folles), permet d’affirmer «un look fort pour les hommes», annonce le coiffeur Jean Louis David, mais, on l’a vu, se perche sur des crânes féminins comme masculins. Un look fort certes, une affirmation de son «petit caractère» qui est sans doute loin de la symbolique très forte du bol de Jeanne d’Arc.

Comme toutes les coupes – longues, courtes, rasées, courtes devant et longues derrière (la fameuse coupe mulet du footballeur est-allemand, reprise il y a quelque temps par Rihanna qui n’en n’est pas à un errance capillaire près) -, le bol est mixte. Le cheveu, explique Michel Messu, auteur d’Un ethnologue chez le coiffeur (1), n’a jamais «détenu en lui-même les vertus qu’on lui prête, du moins pour qualifier le masculin et le féminin et distinguer l’homme de la femme […], il représente une sorte de repère culturel par lequel vont s’exprimer […] toutes sortes d’images mentales, de croyances, mais aussi d’attentes, d’émotions, de sentiments et de ressentiments». Le mot est lâché : «ressentiment», et la coupe à la Jeanne d’Arc, née au Moyen Age, exprime parfaitement ce qu’une coiffure peut provoquer, en particulier sur la tête d’une femme dans un monde d’hommes. Jeanne d’Arc, donc, héroïne à plus d’un titre, héroïne capillaire qui a contribué à bouter l’Anglois hors de France, mais aussi à procéder à la confusion des genres, contestant par sa coiffure «une féminité asservie», le paiera d’un procès en sorcellerie. Car, au fond, ce qui l’a vraiment tuée, c’est la coupe au bol : très mode en cette première moitié du XVe siècle pour les hommes, les valets, les pages, les damoiseaux de la bourgeoisie, c’est en revanche une faute très grave, un péché mortel pour les femmes, sur lequel est basée toute l’apostasie de Jehanne. Ce fut même l’un des griefs principaux porté dans l’acte d’accusation aux articles 12 et 13 : les cheveux courts sont une atteinte à «l’honnêteté du sexe féminin, interdit[s] par la loi divine, abominable[s] à Dieu et aux hommes et interdit[s] par les sanctions ecclésiastiques sous peine d’anathème». C’est écrit par saint Paul dans la première épître aux Corinthiens : «Toute femme qui prie ou qui prophétise, la tête non voilée, déshonore son chef. […] S’il est honteux pour une femme d’avoir les cheveux coupés ou d’être rasée, qu’elle se voile.» Voilà qui n’est pas sans écho aujourd’hui…

Il faut bien reconnaître que c’est pas très seyant, tempes et occiput rasés, cheveux coupés droit sur le front, mais c’est bien plus pratique pour aller guerroyer que la longue chevelure botticellienne. Habillée en homme en sus, une abomination qu’elle va payer très cher : la jouvencelle pucelle sera, ultime punition, rasée avant d’être brûlée. Une décalvation, un «déchevelèment», réservé à tous les infâmes et, surtout, aux sorcières. On retrouvera dans bien des cultures la tonte des femmes comme châtiment et humiliation suprême, dans la France de 1945 par exemple. Alors gloire à la coupe au bol, même si de nos jours on ne risque pas sa vie en la portant. Juste un peu de ridicule, peut-être, mais ça n’a jamais tué personne, ça.

(1) Editions Fayard (2013), 18 €.

Lundi : le cheveu long

Emmanuèle PEYRET

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