Christian Paul : «Nous avons perdu trop de temps, il faut changer l’intensité des réformes»

Published 23/08/2015 in Politique

Christian Paul, le 16 juin 2015 à l’Assemblée nationale, à Paris.(Photo Charles Platiau. Reuters)

INTERVIEWLe député de la Nièvre, chef de file des «frondeurs», appelle la gauche à mener une nouvelle politique et souhaite que soit organisée une conférence sur les dettes en Europe.

L’année dernière, ils avaient assisté à la Fête de la rose de Frangy (Saône-et-Loire). Cette année, ils n’iront pas en Bourgogne et se réuniront à Marennes (Charente-Maritime), deux jours avant l’université d’été de La Rochelle. Rencontre avec le «frondeur» Christian Paul.

La rentrée débute avec ce chiffre : 0 % de croissance au deuxième trimestre. Vous sentez-vous conforté dans vos critiques sur la politique économique de François Hollande et Manuel Valls ?

Cela confirme l’urgence à engager une politique alternative. Je n’ai pas cessé de la proposer. Le pays connaît une croissance timide, sans emploi. Il est temps de prouver que la gauche a une ambition pour la France : c’est la rentrée de la dernière chance. Pourtant, Valls répète que le «cap» ne changera pas… A Matignon, le verbe a remplacé l’action. Pour le Premier ministre, être constant sur une mauvaise pente vaut mieux que changer de braquet. Manuel Valls s’est enfermé dans un deal sans lendemain avec le Medef. Le gouvernement a amusé la galerie pendant des mois avec la loi Macron, qui aura eu l’immense mérite de relancer les autocars sur les routes françaises… Plus sérieusement : il faut appliquer à la gauche une cure de désintoxication libérale.

François Hollande qui annonce une baisse d’impôts pour 2016, ce n’est pas une bonne chose ?

D’abord, je salue les baisses d’impôts que connaissent, en cette rentrée, plusieurs millions de Français. Nous avions demandé, puis voté, ce gain de pouvoir d’achat pour les familles les plus modestes soumises à l’impôt sur le revenu. Mais pour 2016, je vois pointer un procès en électoralisme ! Pour l’éviter, mettons enfin sur les rails la réforme fiscale promise en 2012 plutôt que multiplier les annonces de baisses d’impôts au fil de l’eau. Engageons, dès le budget pour 2016, une baisse de la CSG sur les premières tranches, une fiscalité juste et progressive, et la retenue à la source. Le Président doit s’inspirer des orientations adoptées en juillet par le Parti socialiste, saisi, sur ce point, par la grâce de l’été. Et je n’imagine pas la majorité de mes collègues députés, en dehors de quelques convertis au néolibéralisme, voter un budget qui ne respecterait pas ces propositions.

Croyez-vous encore à la baisse du chômage ?

Toutes les énergies doivent être tournées vers ce but. Nous avons perdu trop de temps. L’Europe tout autant. Il faut changer d’intensité dans les réformes : redéployer, dès 2016, au moins 15 milliards d’euros du pacte de responsabilité vers les ménages, rallumer le moteur de l’investissement public local, mener une politique hardie de soutien aux entreprises, mais en ciblant les aides.

Et si le chômage ne baisse pas, François Hollande peut-il se représenter ?

Le Président a lui-même pris les devants. Il met en jeu sa responsabilité. C’est un choix… courageux. Mais il est aujourd’hui prématuré de décider de la présidentielle. Je ne sais, à cet instant, si s’imposera une primaire. Mais il y aura, à coup sûr, un inventaire : le pacte de responsabilité reste un échec.

Pour vous, à quel moment le PS devra se soucier du plan B ?

Un an avant la présidentielle, cette question se posera à tous : au président de la République, au PS et à toute la gauche.

Etes-vous partisan d’une primaire à gauche ?

Ça ne peut pas être un tabou pour les socialistes ! Mais à donner dès maintenant le signal d’une compétition, nous en ferions un chiffon rouge sur lequel se jetteraient tous les calculs et toutes les ambitions. C’est le poison de la Ve République. Nous affronterons cette question en 2016. Aujourd’hui, nous devons apporter la preuve que notre génération est encore capable de faire aimer l’Europe. Elle traverse une crise totale de solidarité, écartelée entre les faux remèdes néolibéraux et les pulsions conservatrices et nationalistes. La France doit jouer enfin tout son rôle.

C’est-à-dire ?

J’ai rencontré les dirigeants de Syriza cet été. Ils font la différence entre Angela Merkel et François Hollande ! Ils savent qui les a aidés. Mais ils savent aussi que ce n’est pas fini. Nous devons pousser à l’organisation d’une conférence sur les dettes en Europe. Nous devons aussi tirer une leçon de cette crise d’une immense brutalité pour la Grèce et pour nous tous : l’absence de démocratie et de représentation des peuples de la zone euro exige une réécriture des traités. Quant à la question des migrants, la France n’est pas à la bonne hauteur, et Cameron est en dessous de tout. Pourquoi ne pas accueillir solidairement les réfugiés aux portes de l’Europe, en Grèce et en Italie, plutôt que de laisser chaque pays se débrouiller seul ? Nous n’arrêterons pas des hommes et des femmes qui fuient la mort dans leur pays à cause de la guerre.

Vous vous êtes opposés à l’Assemblée, vous avez perdu le congrès… Comment comptez-vous peser ?

Nous rassemblons un tiers du PS, nous poussons à des majorités d’idées pour le budget 2016, nous sommes très actifs au Parlement et de plus en plus présents dans l’espace public. Nous allons encourager des mouvements citoyens hors les murs des partis pour sortir de cette anesthésie politique des gauches.

Vous rêvez d’un big bang à gauche ?

La déception a produit la défiance populaire. Si big bang il doit y avoir, après 2017, cela voudra dire que la gauche aura durablement échoué. Cela ira de pair avec une longue traversée du désert, avec le retour revanchard de Sarkozy ou le cauchemar Le Pen. Pour réussir une alternative crédible à gauche avant et après 2017, nous devons la construire dès aujourd’hui.

Lilian ALEMAGNA

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