«A La Courneuve, on avait un autre scénario que l’évacuation des Roms»

Published 04/09/2015 in France

Evacuation du bidonville de La Courneuve (Seine-Saint-Denis), le 27 août. (Photo AFP)

INTERVIEWReprésentant du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme, Jan Jarab estime que la mairie a choisi la pire solution pour les Roms du plus vieux bidonville d’Ile-de-France.

Jan Jarab, représentant régional pour l’Europe du Haut-Commissariat pour les droits de l’homme, suit la question des Roms depuis plus de vingt ans, d’abord pour le gouvernement tchèque puis pour la Commission européenne et aujourd’hui l’ONU. Après l’évacuation brutale du bidonville du Samaritain à La Courneuve (Seine-Saint-Denis), il dénonce l’inanité de la méthode.

Vous aviez prévu de venir en France pour rencontrer les habitants du bidonville de La Courneuve et cela n’a pas été possible…

Je suis arrivé le vendredi 28 août, et nous avions fixé un rendez-vous avec le maire pour le lundi suivant. Mais nous avons été vraiment surpris quand nous avons été informés jeudi que l’évacuation était en cours. J’ai tout de suite annulé le rendez-vous avec le maire, parce que ce qui s’est produit est exactement ce que nous voulions éviter. Mais j’ai rencontré les acteurs de la société civile que nous avons soutenus, Médecins du monde ou Emmaüs. J’ai aussi rencontré le défenseur des droits, Jacques Toubon.

Ce qui s’est passé est d’autant plus dommage qu’il y avait un autre scénario, soutenu par ces ONG respectées. Dans les années récentes, j’ai vu d’autres bidonvilles en France, à Saint-Denis, à Saint-Ouen, à Ivry-sur-Seine [Val-de-Marne, ndlr]… D’autres évacuations se sont produites, mais pas dans ces conditions : à La Courneuve, les autorités n’ont même pas donné vingt-quatre heures aux gens. On a détruit leurs biens et leurs documents. On a utilisé de l’argent public et les forces de l’ordre pour créer des sans domicile fixe.

Vous évoquez le scénario d’une résorption progressive, défendu par les associations, mais le maire, Gilles Poux (PCF), estime qu’il n’est pas crédible. Les solutions qu’elles défendent vous paraissent-elles sérieuses ?

Oui, et nous en avons de nombreuses preuves en Europe. En Espagne, il y avait des bidonvilles tsiganes énormes, avec crime organisé, analphabétisme, pauvreté. Mais avec une politique de résorption progressive, les Espagnols ont été capables de résorber ces bidonvilles et, aujourd’hui, il ne reste que 3 % d’habitants. Ce qui nous étonne en France, c’est ce fatalisme. Comme si les Roms étaient impossibles à intégrer, comme s’ils étaient extraordinairement exotiques. On les culpabilise. Mais la leçon du travail social avec d’autres groupes pauvres ou analphabètes s’applique aussi aux Roms. 

Certaines de ces familles roms tentent maintenant de camper devant la mairie de La Courneuve. Vous n’avez toujours pas rencontré le maire ?

Non, car nous avons été mis devant le fait accompli, et ce n’était pas très plaisant. Je comprends que des maires disent que d’autres villes aussi doivent accueillir ces populations. Mais cela ne justifie pas l’évacuation. 

Etes-vous pessimiste sur le sort de ces familles ?

Je ne sais pas. Je devrais être l’optimiste professionnel, et j’admire l’engagement des gens qui ont accompli tout ce travail depuis des années autour de ces familles. J’espère que l’Etat va réagir. Ce serait inacceptable que des enfants soient déscolarisés à cause d’une évacuation qui les disperse.

Puisqu’il est question de l’Etat, avez-vous un message pour le Premier ministre, Manuel Valls ?

Si j’avais un message, je lui dirais que les Roms ne sont pas si différents des autres personnes qui sont pauvres, marginalisées ou qui ont des taux d’analphabétisme élevés. On doit faire avec eux ce que l’on fait dans ces cas-là : suivre sur le plan social et éduquer. Nous avons beaucoup d’exemples qui prouvent que ça marche.

Sibylle VINCENDON

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