Bousculé par la crise des migrants, Sarkozy révise (un peu) son discours

Published 05/09/2015 in France

Alain Juppé, Nicolas Sarkozy et François Fillon à La Baule, le 5 septembre 2015. (Photo Albert Facelly)

REPORTAGEA La Baule, tous les orateurs du parti Les Républicains ont dit leur émotion, tout en continuant de défendre une distinction stricte entre réfugiés et migrants économiques.

Bien sûr, ils sont tous «bouleversés» par la crise des migrants et les images qu’elle charrie. Devant les militants Les Républicains (LR) réunis à La Baule, François Fillon, Alain Juppé, Nathalie Kosciusko-Morizet et Nicolas Sarkozy pouvaient difficilement ne pas consacrer une bonne partie de leurs discours à cette actualité qui bouscule l’agenda politique et menace de s’inviter dans les campagnes électorales à venir. Y compris dans la campagne régionale, comme l’a bien compris Bruno Retailleau, candidat Les Républicains à la présidence de la région des Pays de Loire, à la recherche d’une voie de droite entre «le cynisme du FN et l’angélisme de la gauche». Embarrassés par un sujet qu’ils ont quelques scrupules à exploiter de manière trop politicienne, tous les orateurs de La Baule ont dit leur indignation. Et fait entendre leurs différences, moins sur les solutions proposées que la façon de les présenter.

Comme souvent, Nicolas Sarkozy a fustigé son adversaire préféré, cette «pensée unique» qui prétendrait lui interdire de parler et même réfléchir sur certains sujets, notamment l’immigration. Allusion implicite à la polémique sur la malheureuse parabole de «la fuite d’eau» qui causa quelques ennuis au patron de LR.

A lire aussi Sarkozy, de la fuite dans les idées

En se présentant comme le seul pourfendeur de cette «pensée unique», il fait passer ses propositions, y compris celles qui sont largement partagées à droite, comme autant d’audacieuses transgressions. La pensée unique serait donc, selon lui, en partie responsable des tragédies des derniers jours, en Méditerranée et sur les routes de Hongrie. A propos de la Syrie, il rappelle qu’en 2012, «alors que Daech n’existait pas encore», il avait lancé cet avertissement : «Intervenez, sinon il sera trop tard.» Mais la pensée unique, encore elle, a étouffé son appel.

Des centres de rétention hors Schengen

Pour les réfugiés, il propose, comme d’autres, la création de «centres de rétention» en périphérie de l’espace Schengen. «En Afrique du Nord, Serbie ou Bulgarie», a-t-il précisé. Pas un mot, en revanche, sur l’initiative d’Angela Merkel qui a fait le choix d’ouvrir les frontières allemandes aux Syriens massés à la frontière hongroise. Pas un mot, non plus, sur la décision de la chancelière et du président français en faveur de «quotas contraignants» au sein de l’Union européenne pour les demandeurs d’asile.

A lire aussi : Hollande et Merkel se mettent d’accord pour «organiser l’accueil des réfugiés»

Plus que jamais, Sarkozy plaide pour une refondation de «Schengen».  Il estime que le traité européen sur la libre circulation doit être suspendu aussi longtemps que tous les Etats membres n’auront pas «la même politique migratoire». Sans jamais quitter le terrain politique, le président de LR confie avoir eu «honte en entendant Marine Le Pen» sur les migrants. Convoquant les «valeurs humanistes» de la droite républicaine, il rappelle que «ces hommes et ces femmes sont nos frères dans l’espèce humaine».

Le 28 août, sur TF1, la patronne du FN avait dénoncé le «laxisme» des dirigeants européens : «On essaye de nous faire croire qu’ils sont tous des réfugiés politiques. Pour la plupart ce sont des réfugiés économiques», avait-elle ajouté. Un argument largement repris à La Baule, y compris par Sarkozy qui voit le statut de réfugié poltique «foulé au pied par la fraude systématique».

Fillon «intraitable avec les faux réfugiés»

Pour Fillon, l’enfant syrien échoué sur une plage turque est mort parce que l’Europe «refuse de parler» avec les Russes et les Iraniens pour combattre l’Etat islamique. Selon lui, le gouvernement français devrait «tout faire pour éradiquer l’Etat islamique et ses affidés». Il a toutefois mis en garde ceux  qui réclament à cor et à cri une intervention militaire et semblent croire que la France pourrait «envoyer la légion en Syrie». «Ne refaisons pas l’erreur des Etats Unis en Irak», a-t-il ajouté. L’ancien Premier ministre reconnaît que la France a un «devoir de protéger» ceux qui fuient les massacres en Syrie, sans quoi «nous ne serions pas dignes de notre héritage chrétien et de la civilisation européenne dont nous nous réclamons». Comme Sarkozy, il se dit favorable à l’installation, dans les pays proches des zones de guerres, de «lieux d’accueil» où seraient traitées les demandes d’asiles. Et suggère, en contrepartie, d’être «intraitable avec les faux réfugiés».

Juppé veut des accords de «codéveloppement»

Fidèle à son habitude, Alain Juppé a paru nettement moins soucieux de plaire aux militants, noyau dur d’un électorat très sensible à la question de l’immigration. Face aux «2 400 morts en Méditerranée» depuis le début de l’année, il appelle au «réveil des consciences», sans cacher qu’il n’est pas simple de distinguer ceux qui fuient la guerre d’un côté et ceux qui fuient la pauvreté de l’autre. Concernant les premiers, la maire de Bordeaux confie avoir donné au préfet de Gironde son accord pour installer plusieurs familles de réfugiés dans sa ville. Sans surprise, les habitants du quartier concernés ont eu des «réactions de colère». Juppé, chantre de l’identité heureuse, raconte qu’il y a répondu en rendant possible, autour de rencontres sur le terrain, «la fraternisation» entre accueillants et accueillis.

Concernant l’immigration économique, il maintien qu’elle peut être «une chance» à condition qu’elle soit régulée sous forme de quotas votés par le Parlement. Tandis que la porte-parole de LR, Lydia Guirous, a cru bien faire en appelant lundi à «la fermeture» pure et simple des frontières, Juppé prévient «qu’aucun mur n’arrêtera les flux migratoires» et que seuls des accords de «codéveloppement» avec les pays sources, notamment en Afrique,  permettront de régler le problème en profondeur.

De tous les orateurs, l’ex-ministre de l’Ecologie Nathalie Kosciusko-Morizet aura été la seule à rendre explicitement hommage à Angela Merkel, ignorée ces derniers jours par une droite française qui l’a si souvent portée aux nues. La Chancelière «montre la seule voie honorable» dit NKM qui voit mal, par ailleurs, comment on pourrait «rester les bras ballants», après avoir si souvent appelé à «la solidarité avec les chrétiens d’Orient». Manière de rappeler à certains de ses amis politiques particulièrement mobilisés sur cette question  que l’humanisme et la solidarité ne sauraient se hiérarchiser en fonction de la religion des victimes. 

Alain AUFFRAY à La Baule

Print article

Leave a Reply

Please complete required fields