Dans la ferme des animaux 2.0

Published 01/09/2015 in High-tech, Sciences

Parmi les robots développés par Festo, le kangourou testant la capacité à sauter. (Photo Festo)

RÉCITLes robots biomimétiques de l’entreprise allemande Festo apportent visibilité à ses travaux et lui permettent d’attirer des talents.

Depuis une décennie, un drôle de bestiaire a élu domicile à Esslingen am Neckar, discrète bourgade allemande située en périphérie de Stuttgart. On y trouve des spécimens uniques au monde : kangourous, manchots, méduses, raies, fourmis, papillons… Inutile pourtant de les chercher au zoo de la ville ou sur les pistes des cirques environnants. Aucun n’est d’ailleurs vivant, ni même empaillé : ce sont des robots. Fin avril, la présentation des dernières créatures bioniques sur le stand de Festo, la société qui les conçoit, était l’un des grands rendez-vous de la foire technologique d’Hanovre. Leur renommée dépasse aujourd’hui les frontières du monde des ingénieurs, et les vidéos les mettant en scène en train de voler, nager ou bondir rencontrent leur petit succès sur YouTube : 220 000 vues pour la colonie de fourmis robotiques déplaçant un objet (2015) et plus de 2,5 millions pour l’oiseau SmartBird (2011).

Tronçonneuses

 «C’est toujours fascinant de voir ce dont la technique est capable de s’emparer en dehors du domaine purement industriel», observe Laurence Chérillat, déléguée générale d’Artema, le syndicat français des industriels de la mécatronique. Les trois premiers robots-animaux à avoir vu le jour chez Festo ont déjà eu droit à une exposition au musée d’art moderne de New York en 2008. Parmi eux : l’«Airacuda», un poisson téléguidé d’un mètre de long se déplaçant à l’aide de plusieurs «muscles» pneumatiques, vague copie siliconée et inoffensive du vorace barracuda carnivore. Dans le genre «sorti de nulle part», il y a aussi eu l’«AirJelly», une méduse volante d’1,5 mètres de diamètre gonflée à l’hélium et pourvue de huit tentacules. «Le premier objet volant d’intérieur à propulsion péristaltique» (par contraction), s’enthousiasmaient ses créateurs en 2008. «Je me demandais justement quand quelqu’un aurait l’idée de me construire une méduse robotique flottant dans les airs. Heureusement, les ingénieurs de Festo ont exaucé mes prières», ironisait en réponse un journaliste du magazine Wired. En 2013, c’est une libellule bionique de 175 grammes qui prenait son envol dans le hall du siège social de Festo à Esslingen. «A l’intérieur, il y a neuf moteurs et beaucoup d’électronique et de capteurs. C’est complexe à faire voler, tous les éléments doivent travailler très précisément ensemble», décrit Elias Knubben, responsable des projets bioniques chez Festo.

Avant de se lancer dans ces projets, l’entreprise n’y connaissait pourtant pas grand-chose en robotique. Lorsqu’elle est fondée en 1925 à Esslingen par Albert Fezer et Gottlieb Stoll – dont les premières syllabes de chaque nom ont formé «Festo» – c’est pour fabriquer des scies, des tronçonneuses et autres outils de découpe du bois (une gamme aujourd’hui commercialisée sous la marque «Festool»). Trente ans plus tard, avec le retour du fils aîné Stoll parti aux Etats-Unis, la société se spécialise aussi dans la fabrication de machines-outils pneumatiques permettant d’actionner et déplacer des objets sur les chaînes de production. Une diversification payante, en grande partie responsable des 17 800 emplois et des 2,45 milliards d’euros de chiffre d’affaires du groupe en 2014. La famille Stoll, elle, siège toujours en nombre au conseil d’administration. Mais l’entreprise avait-elle vraiment besoin de se lancer dans les méduses et les libellules robotiques ? «C’est un tournant assez naturel dans son évolution puisqu’elle fabrique des transmissions pneumatiques utilisées dans bon nombre de machines et de robots, analyse Laurence Chérillat. C’est l’archétype du groupe familial allemand qui réussit à allier les trois axes du développement que sont l’innovation, l’international et l’investissement.»

La fourmi développée par Festo pour tester la capacité de plusieurs robots à coopérer. Photo Festo

Festo justifie son penchant pour le biomimétisme avec les nouvelles pistes de solutions ouvertes vis-à-vis de la robotique industrielle. «A la manière des concept cars, on tente d’anticiper les futurs besoins. On peut apprendre beaucoup de la nature : mouvement, forme, légèreté, capacité d’adaptation, explique Elias Knubben. Avec les fourmis, on s’est demandé comment les faire communiquer entre elles pour se répartir les tâches en vue de transporter un objet. C’est assez complexe car il n’y a pas beaucoup de recherches sur ce genre de sujets.» L’année dernière, le défi consistait à reproduire le bond du kangourou. Le résultat ? Une réplique très réussie d’un mètre de haut, qui saute jusqu’à 80 cm devant lui et récupère de l’énergie à chaque atterrissage. La bête peut même être commandée par le geste via un bracelet connecté. Pratique, même si on se demande à quoi ça sert à part épater la galerie.

Silicone

Quarante projets de ce genre ont été menés depuis la création en 2006 du «Bionic Learning Network», le réseau d’apprentissage bionique que Festo anime avec plusieurs instituts et universités. Et vingt-six inventions en découlent. «Nous lançons trois ou quatre projets par an, chacun dure environ douze mois, poursuit Elias Knubben. Soit nous partons d’un besoin technique et nous ciblons un principe zoologique, soit nous partons d’un animal en cherchant à reproduire techniquement l’un de ses aspects.» Dix ingénieurs s’y consacrent à plein temps chez Festo. Silence, en revanche, sur le budget. Il faut se contenter des 171 millions d’euros, soit 7 % du chiffre d’affaires, réinvestis chaque année en R&D. «Ces projets permettent de montrer qu’on innove et de repérer des étudiants et des universitaires qui travailleront éventuellement chez nous plus tard», glisse un représentant de la filiale française.

La langue de caméléon préhensible. Photo Festo

Evidemment, tous les animaux bioniques n’ont pas une seconde vie avec des applications concrètes dans l’industrie ou le marché grand public. Oubliez l’idée d’un robot manchot ou kangourou dans le salon. «On nous contacte pour les acheter, mais on ne les vend pas», explique Knubben. Seules certaines pièces très innovantes et utiles aux industriels sont commercialisées. C’est ainsi le cas du «FlexShapeGripper», un appareil reproduisant en silicone l’extrémité d’une langue de caméléon qui, remplie d’eau, permet de saisir des objets aux formes très variées. «Comme le matériau est souple, on peut la fixer sur un bras robotique à côté d’un humain sans risquer de blesser ce dernier», assure Laurence Chérillat. «Mais on doit encore peaufiner l’algorithmie et baisser le coût du matériel», souffle Elias Knubben.

La capacité d’une machine à saisir n’importe quel objet plus efficacement que l’homme est de fait l’un des enjeux de l’industrie du futur. Ce n’est pas le seul. «Les futures machines ne produiront plus en ligne, mais de façon beaucoup plus décentralisée. Elles seront davantage autonomes et polyvalentes», prédit Knubben. Un indice pour la prochaine bête biomécanique made in Festo ? «Non», sourit l’ingénieur. Rien ne devrait filtrer avant la prochaine foire de Hanovre au printemps 2016, où la firme devrait une nouvelle fois faire le show.

Gabriel SIMÉON

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