Un jeu vidéo contre Alzheimer

Published 21/09/2015 in Économie

Un jeu vidéo contre Alzheimer

Santé

Un laboratoire a mis au point un jeu vidéo pour prévenir ou ralentir les effets d’Alzeihmer, alors que la journée mondiale de lutte contre la maladie est organisée ce lundi. Un essai clinique a montré une amélioration des capacités de concentration chez les patients.

Ça donne l’air bête, mais on se soigne : face à un écran plat de l’institut du cerveau et de la moelle épinière (ICM), devenu cobaye de l’équipe du laboratoire Brain e-novation manifestement amusée, on piétine, claque des mains, s’accroupit, lève les bras. Drôle de chorégraphie, exécutée avec la grâce d’un fer à repasser devant une console Xbox équipée d’un système de détection de mouvement. C’est un jeu : aux commandes d’un sous-marin – non, pas un U-Boat – dirigé par une série de mouvements, il s’agit de torpiller les cargos voguant alentour. En vérité, c’est un peu plus qu’un jeu vidéo. C’est un serious game, ces logiciels qui conjuguent la dimension ludique d’un jeu classique avec un enjeu extérieur, pédagogique, promotionnel ou, dans ce cas, thérapeutique.

Pour soigner la maladie d’Alzheimer dans ses formes les plus légères, l’ICM, l’institut Claude-Pompidou et le studio Genious ont développé un jeu dont les mécaniques reprennent celles des exercices prescrits par les médecins pour prévenir ou ralentir les effets de la pathologie. Le défi de conception consiste pour Genious à traduire des objectifs thérapeutiques, définis par les médecins, en objectifs ludiques à la fois accessibles et prenants. «Le jeu agit sur trois volets, explique le professeur Robert, de l’institut Pompidou, il affecte la motricité, les capacités cognitives et la motivation. L’apathie est un symptôme majeur d’Alzheimer. Faire bouger les patients âgés avec une activité suffisamment intense, c’est déjà un succès. D’autant plus qu’il y a une relation très forte entre les performances motrices et les performances cognitives.»

«Le jeu est un prétexte»

Afin de prouver l’efficacité de cette méthode de traitement, Brain e-novation a mené un essai clinique sur vingt patients âgés de 84 ans en moyenne, soumis à trois séances de jeu hebdomadaire d’une demi-heure chacune, et ce pendant deux mois. Les résultats, publiés d’ici à la fin de l’année, sont largement positifs. «Le jeu vidéo s’avère ainsi particulièrement efficace quant à l’amélioration de l’attention et de la concentration», analyse le Pr. Robert. Aux tests TMT A et B, deux «classiques» des exercices cognitifs employés en neurologie, temps de réaction et pourcentage d’erreur sont ainsi nettement inférieurs chez les patients après la période de jeu. Fait marquant : les résultats sont également meilleurs chez les sujets «sains». «L’effet bénéfique n’est pas spécifique aux patients atteints d’Alzheimer, mais il y a un effet», commente le praticien.

L’apport principal du jeu, comparativement à un exercice classique, est d’augmenter l’implication du patient dans ses soin. «Le jeu est un prétexte», confirme Pierre Foulon, directeur du pôle serious game de Genious. Pierre, 74 ans, a participé à l’essai clinique pour traiter des «petites pertes de mémoire». Au départ sceptique, il constate, comme son entourage, une amélioration au fil des séances. L’ancien ingénieur se prend au jeu : «Cela rend le traitement, le rapport à la maladie, plus facile à vivre. C’était une angoisse. Le fait de jouer a tendance à détendre, à rendre le processus moins traumatisant et à s’investir davantage.» «Les patients sont mis en confiance par le contexte du jeu», ajoute Pierre Foulou.

Non invasif, sans effets secondaires, le jeu vidéo offre en outre la possibilité de collecter des données médicales précieuses pour le médecin, avec en ligne de mire une évaluation des performances du joueur plus fiable et plus facile. Genious cherche ainsi à affiner la sensibilité des capteurs de la console pour préciser ces informations. Le studio compte lancer une plateforme en ligne qui remplira la fonction d’interface entre le malade et son médecin. Baptisée Curapy, elle permettra au traitant de visualiser les résultats d’un patient et de modeler un programme de jeu au cas par cas.

«Aspect intergénérationnel»

Cantonnés pour l’heure à une pratique encadrée par un thérapeute dans une structure hospitalière, les serious games de santé sont destinés à entrer dans les foyers. Il reste toutefois du chemin d’ici à leur déploiement massif chez les seniors. D’abord, il faudra convaincre les médecins de se convertir à cette méthode peu orthodoxe. Par ailleurs, la navigation dans les menus des jeux, encore chaotique, devra sans doute être améliorée. Enfin, l’installation et l’usage de consoles de jeux est également un obstacle. Pour pallier ce problème, Brain e-novation mise notamment sur l’entourage et le jeu multijoueur pour initier les néophytes. «L’aspect intergénérationnel du jeu vidéo est très important», affirme Pierre Foulon. Concrètement, on compte sur les petits-enfants pour tirer leurs grands-parents par la manche. «Hélas, on ne peut pas encore soigner avec Mario Kart», plaisante le Pr. Robert.

ParLouis Nadau

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