Guy Verhofstadt : «La réaction d’Orbán n’est pas conforme aux valeurs européennes»

Published 24/09/2015 in Monde

Guy Verhofstadt lors d’un meeting de l’Open Vld en 2014.

Interview

Le chef du groupe démocrate et libéral du Parlement européen explique pourquoi il entame une procédure contre la Hongrie afin de sanctionner son traitement de la crise migratoire.

L’ancien Premier ministre belge et président du groupe démocrate et libéral du Parlement européen, Guy Verhofstadt, veut que l’Union mette en examen la Hongrie de Viktor Orbán, qui s’est lancée dans une logique répressive afin d’endiguer l’afflux de réfugiés.

Que pensez-vous de la façon dont Viktor Orbán gère la crise des réfugiés ?

Le groupe libéral va demander au Parlement européen de lancer contre la Hongrie la procédure prévue par l’article 7 du traité sur l’Union, car nous estimons que la façon dont elle gère la crise des réfugiés présente un «risque clair de violation grave» des valeurs européennes. Il y a deux ans, nous l’avions déjà proposé, parce qu’Orbán réorganise son pays dans l’intérêt de son seul parti, mais ni les socialistes ni les verts ne nous avaient suivis en estimant que c’était prématuré. L’un des arguments avancés pour expliquer cette pusillanimité est que l’activation de l’article 7, qui peut aboutir à suspendre certains droits des Etats comme le droit de vote, est une bombe nucléaire. Autrement dit, cela interdirait son usage ! Or, on oublie que cet article comporte deux volets, l’un préventif, l’autre répressif. Il s’agit simplement d’activer le volet préventif, de faire des recommandations à la Hongrie pour remédier à la situation actuelle.

Orbán reste protégé par sa famille politique, le Parti populaire européen (PPE). Pourquoi ?

Le PPE est peu regardant sur ses membres, car il a toujours eu pour politique de ratisser large afin de renforcer son poids au Parlement. Ce groupe n’a jamais exclu personne, à la différence du groupe libéral qui s’est débarrassé du FPÖ autrichien lorsque Jörg Haider en a pris le contrôle et lui a fait prendre un virage vers l’extrême droite à la fin des années 80. Je tiens à rappeler qu’Orbán a été membre du Parti libéral, qu’il a quitté en 2002 lorsqu’il a pris son virage nationaliste. Et c’est à ce moment-là que le PPE l’a accueilli…

Le traitement des réfugiés ne va-t-il pas pousser le PPE, dominé par les chrétiens-démocrates allemands, à lâcher Orbán ? Qu’est-ce qui va peser le plus : le pouvoir ou les principes ?

J’espère que les principes l’emporteront, mais je crains que ça ne soit le pouvoir, comme toujours. Je constate que les réactions les plus virulentes et les plus dures contre Orbán ne viennent pas d’Europe, mais des Etats-Unis…

La Hongrie n’en est pas moins confrontée à un sérieux problème…

Personne ne le nie. Mais la réaction d’Orbán n’est pas conforme aux valeurs européennes. A sa place, je serais venu à Bruxelles avec Matteo Renzi et Aléxis Tsípras, qui dirigent deux pays confrontés au même problème, pour exiger une solution européenne. Et si les autres pays avaient refusé, j’aurais organisé le transport des réfugiés vers les capitales de l’Union. Cela aurait été autrement plus positif que de construire un mur et de tirer sur les réfugiés. On ne peut pas arrêter des gens qui fuient des zones de guerre.

La Hongrie n’est pas la seule à s’être opposée à la relocalisation des 120 000 demandeurs d’asile proposée par la Commission. La République tchèque, la Slovaquie et la Roumanie l’ont soutenu, mardi, lors du Conseil des ministres de l’Intérieur.

Leur opposition est surtout due au fait qu’il n’y a aucune approche globale du problème des frontières sur la table. Les Tchèques, qui font partie de mon groupe, m’ont expliqué qu’ils veulent bien accueillir des réfugiés, mais à condition que l’on traite aussi du contrôle commun des frontières ou de la mise en place d’un système d’asile européen. Ce qu’ils critiquent, c’est qu’on ait commencé par la fin, par la relocalisation, sans approche globale.

L’argument de Viktor Orbán est qu’il fait son travail en empêchant les réfugiés d’entrer dans l’espace Schengen.

Ce qu’il montre surtout, c’est qu’il est impossible d’avoir des frontières extérieures communes avec des contrôles nationaux, car cela revient à repousser les problèmes vers d’autres pays. Il faut en réalité un contrôle commun des frontières extérieures, avec des policiers et des douaniers de tous les pays détachés dans une structure européenne afin que les contrôles soient organisés de manière convenable et de la même façon, quel que soit le point d’entrée. De même, un système commun d’asile doit être mis en place afin que le statut de réfugié soit accordé selon les mêmes critères partout en Europe. Il faut enfin donner la possibilité aux gens de demander le statut dans les camps où ils se trouvent, généralement dans les pays riverains, et ensuite les acheminer chez nous : pour l’instant, on les oblige à se tourner vers des organisations criminelles pour venir en Europe parce que c’est seulement là qu’ils peuvent demander l’asile. Avec un tel système, on saura d’avance combien de personnes on devra accueillir et on pourra se les répartir entre pays européens. En fait, Schengen – comme la zone euro – souffre d’une absence de gouvernance. On a créé une monnaie unique et un espace sans frontière intérieure, mais sans se donner les moyens de le gouverner.

Comme avec l’article 7 du traité qui pose un principe sans en donner le mode d’emploi.

C’est pour cela que le groupe libéral demande que la Commission propose l’équivalent du Pacte de stabilité budgétaire en matière de valeurs et de principes européens : cela veut dire des indicateurs, un système de surveillance rapproché, des recommandations et des sanctions. Il faut que nous puissions dire ce qui ne va pas dans tel ou tel pays avant que la situation ne devienne irréversible : état dans les prisons, corruption, liberté de la presse, indépendance des juges, etc. Un tel pacte permettrait d’éviter que ce soient les Etats qui décident, car il n’est pas facile de sanctionner son voisin. C’est pour cela que le Pacte de stabilité n’a pas fonctionné et qu’on a dû le réformer afin de réduire les possibilités d’empêcher les sanctions.

ParJean Quatremer

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