Comment suspendre un Etat membre ?

Published 24/09/2015 in Monde

Devant le Parlement européen à Strasbourg.

Décryptage

L’article 7 du traité sur l’Union européenne prévoit un dispositif de sanctions. Un mécanisme très lourd à mettre en œuvre.

Si un Etat membre peut quitter l’Union européenne, il n’existe aucun moyen de l’en expulser manu militari. En clair, l’Espagne franquiste ou la Hongrie communiste n’auraient pu adhérer, mais s’ils renouaient avec un régime fasciste ou totalitaire une fois dans l’UE, il serait impossible de s’en débarrasser. Pour remédier partiellement à cet oubli, le traité d’Amsterdam de 1997 a prévu une procédure de sanction si un Etat viole de façon «grave et persistante» les valeurs européennes : respect de la dignité humaine, de la liberté, de la démocratie, de l’égalité, de l’Etat de droit, des droits de l’homme et des minorités. C’est devenu l’article 7 du traité sur l’Union européenne.

Unanimité. Ce mécanisme purement politique (la Cour de justice européenne n’est pas compétente pour juger de son application) est particulièrement lourd à mettre à œuvre. Il faut que la Commission ou un tiers des Etats membres propose au Conseil européen des chefs d’Etat et de gouvernement de «constater» l’existence d’une telle violation dans un pays de l’UE. Ce constat ne peut être fait qu’à l’unanimité (moins l’Etat mis en cause) et le Parlement européen doit l’approuver.

Ensuite, le Conseil des ministres (on descend d’un niveau) «peut» décider de sanctionner, à la majorité qualifiée, le pays mis en cause en suspendant «certains des droits découlant de l’application des traités […] y compris les droits de vote» au sein du Conseil. Ce qui est suffisamment vague pour permettre d’aller très loin.

A la suite de la crise autrichienne de 1999, lorsque les conservateurs de Wolfgang Schüssel se sont alliés à l’extrême droite du FPÖ de Jörg Haider, ce volet répressif a été complété par un volet préventif. A l’époque, c’est la Belgique, alors dirigée par le libéral Guy Verhofstadt, qui avait mené la bataille contre Vienne, soutenue par la France. «La polémique avait atteint des sommets, s’amuse Guy Verhofstadt, lorsque Louis Michel, mon ministre des Affaires étrangères, avait recommandé de ne plus aller skier en Autriche.»

«Pour sortir de cette crise et éviter des réactions en désordre, on a décidé de compléter l’article 7. Ça a été le résultat d’une négociation de couloir, à Nice, en décembre 2000, entre Schüssel et moi.»

Volet préventif. Lorsqu’un «risque clair de violation grave par un Etat membre des valeurs» européennes apparaît, la Commission, un tiers des Etats membres, mais aussi le Parlement européen peuvent demander au Conseil des ministres (et non au Conseil européen) de le constater, ce qu’il ne peut faire qu’à la majorité des quatre cinquièmes. «Je voulais trois cinquièmes, Schüssel voulait l’unanimité. On a transigé à quatre cinquièmes», se souvient Verhofstadt. «Le volet préventif, c’est donner des recommandations à un pays : on ne peut pas faire ceci, ça ne va pas», poursuit le président du groupe libéral. «C’est seulement si l’Etat ne suit pas ces recommandations qu’on entre dans la deuxième étape, celle des sanctions.»

ParJean Quatremer, (à Bruxelles)

Print article

Leave a Reply

Please complete required fields