En Grèce, un ministre rattrapé par des tweets

Published 24/09/2015 in Monde

Dimitris Kammenos.

Histoire

A peine nommé, Dimitri Kammenos a été éjecté du nouveau gouvernement. La Toile s’était enflammée après l’exhumation de messages nauséabonds, dont il nie être l’auteur.

Vaincu par Twitter : le nouveau ministre grec des Infrastructures, Transports et Réseaux, ne sera resté en poste que douze heures. Avant d’être contraint à la démission, suite au tsunami de protestations que sa nomination a déclenché sur les réseaux sociaux grecs.

Cible de cette polémique électronique, Dimitri Kammenos, 49 ans, est un député des Grecs indépendants, petit parti de droite souverainiste devenu l’allié gouvernemental de Syriza, le parti d’Alexis Tsípras qui a remporté les élections de dimanche. Nommé pour la première fois ministre dans le nouveau gouvernement formé tard dans la nuit de mardi à mercredi, Dimitri Kammenos a fait réagir la Toile grecque dès mercredi matin. En cause : des tweets qui lui seraient attribués sur son compte #Portaporta (aujourd’hui fermé) et qui remontent pour la plupart à 2013.

L’éphémère ministre y mettait en doute les attentats du 11 septembre, affirmant qu’«aucun des 2500 juifs qui travaillaient dans les Twin Towers ne s’était rendu au travail ce jour-là» et s’insurgeait même à l’époque contre Alexis Tsípras, qualifié de «criminel», ou contre son parti, Syriza, accusé «d’obéir aux ordres du sionisme» en ambitionnant de faire adopter le mariage gay en Grèce.

Des propos que les internautes grecs ont amplement repris toute la journée de mercredi pour dénoncer avec vigueur la nomination de Kammenos. La mobilisation n’avait pas de couleur politique, mais l’opposition conservatrice s’en est donnée à cœur joie, elle qui est parfois soupçonnée de se montrer trop tolérante avec les brebis galeuses d’extrême droite dans ses propres rangs.

Les critiques sont également vite venues des rangs de Syriza. Avec notamment, l’eurodéputé Dimitri Papadimoulis qui, dès mercredi matin, critiquait vigoureusement cette nomination sur Twitter. Quelques heures plus tard dans la soirée, le sort du ministre semblait scellé. Le leader des Grecs Indépendants, Panos Kamennos (aucun lien entre les deux hommes) appelant son député pour lui demander d’abandonner son portefeuille, afin d’effacer «cette ombre sur le nouveau gouvernement».

L’alliance entre Syriza et les Grecs indépendants, déjà validée lors des élections de janvier, a souvent été critiquée comme celle de «la carpe et du lapin», un rapprochement contre-nature entre la gauche anti-austérité et la droite souverainiste. Mais à défaut d’avoir obtenu la majorité absolue au Parlement (qui se situe à 151 sièges), Syriza est obligé de nouer des alliances pour gouverner. Et les Grecs Indépendants sont la seule autre formation clairement anti-austérité représentée au Parlement, à l’exception des néonazis d’Aube Dorée et des communistes staliniens du KKE.

Piratage

Par ailleurs, Panos Kammenos a su intelligemment mettre en sourdine certaines options du programme de son parti (notamment sur les migrants ou sur le mariage gay) pour faire de la lutte contre l’austérité et la corruption, ses nouveaux chevaux de bataille. Jusqu’à ce que le passé rattrape un de ses membres.

Du moins dans l’immédiat. Car Dimitri Kammenos nie être l’auteur de ces fameux tweets et affirme que son compte a été piraté, annonçant dans la foulée son intention de saisir l’organisme qui gère le crime électronique en Grèce et de porter plainte contre X. «Je condamne catégoriquement le racisme, l’homophobie et l’antisémitisme» a déclaré le ministre éjecté, dès mercredi soir.

Cette bataille via Twitter réserve quelques enseignements. Tout d’abord, les médias sociaux sont devenus en Grèce aussi, une arme de mobilisation qui peut ébranler un gouvernement, même au lendemain d’élections qu’il a remportées. Le constat est d’autant plus significatif en Grèce, que les électeurs, appelés trois fois aux urnes rien que cette année, ont parfois eu l’impression que leur bulletin papier ne pesait pas forcément très lourd. Le succès avec 62% des voix du «non» au référendum du 5 juillet sur les nouvelles réformes exigées par Bruxelles n’a-t-il pas abouti au choix inverse imposé par les créanciers du pays peu sensibles, voire irrités, face à cet élan démocratique ? Le désenchantement des Grecs qui ont traîné des pieds pour aller voter dimanche (43% d’abstention) est bien le résultat de cette confusion des choix démocratiques.

Par ailleurs, quel que soit le résultat de l’enquête exigée par Dimitri Kammenos sur la gestion de ses comptes Twitter, le simple fait que le membre d’un parti de droite souverainiste condamne ouvertement l’homophobie, le racisme et l’antisémitisme, prouvent que les mœurs évoluent, même en Grèce où les opinions les plus «décomplexées» sur ces thèmes ne suscitaient jusqu’à récemment aucune réaction. Ce qui est indéniablement une très bonne nouvelle.

ParMaria Malagardis, Envoyé spécial Athènes

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