Macron : ils l’aiment eux non plus

Published 25/09/2015 in Politique

Debout, Emmanuel Macron et Jean-Pierre Jouyet, secrétaire général du Président, à l’Elysée lors de la conférence de presse de François Hollande, le 18 septembre 2014.

Récit

Ses déclarations dérangeantes et ses méthodes ont fait du ministre de l’Economie le symbole de la dérive libérale du gouvernement. Florilège de ce qu’il inspire à ses pairs. A gauche et à droite.

Il a fallu que Manuel Valls s’interpose. Jeudi soir, sur le plateau de Des Paroles et des actes, le chef du gouvernement a volé au secours d’Emmanuel Macron, éreinté depuis une semaine par une gauche lasse des embardées libérales du locataire de Bercy. A la fois protecteur et un peu moqueur, Valls a lancé en se tournant vers le ministre de l’Economie, assis juste derrière lui : «Emmanuel, tu n’as pas fait ça ?» Avant d’ajouter : «Je préfère des gens compétents avec une forte personnalité dans mon gouvernement.» Emmanuel Macron sourit, visiblement réconforté. Car depuis sa double sortie sur les 35 heures et le statut plus «adéquat» de la fonction publique, le protégé de l’Elysée est devenu une cible politique. Le Front de gauche fait de sa démission un préalable au rassemblement électoral. L’aile gauche du PS aussi qui, samedi dernier, lors de la convention nationale du parti, a érigé Macron en symbole de la dérive libérale de la politique économique du gouvernement.

Mais l’onde de choc va bien au-delà : la majorité des élus socialistes, dont ceux engagés dans la campagne régionale, commencent à douter de la capacité d’Emmanuel Macron à jouer collectif. «Le type de message qu’il envoie a un prix politique, et c’est trop cher», résume un député PS, pourtant séduit par «la compétence, l’aisance dialectique et la créativité» dont l’ancien secrétaire général adjoint de l’Elysée avait fait preuve au début de l’année, lors de l’examen de sa loi à l’Assemblée. Un autre se désole : «Il nous fait perdre des voix pour les régionales, c’est sûr ! On le trouvait dynamique, séduisant, respectueux du Parlement. Mais, là, pas mal de types en reviennent. Il ne devrait guère être sollicité pour soutenir nos candidats en campagne ! »

«Le ministre de tout»

Dans ce contexte délétère, le «Macron, ras-le-bol» lancé mercredi par Martine Aubry a fait mouche. «Elle a dit tout haut ce que beaucoup de socialistes pensent tout bas», confirme un cadre du parti. Le premier secrétaire, Jean-Christophe Cambadélis, confirme : «La formule était raide, mais je la crois partagée, y compris dans l’exécutif.» Dans le huis clos de Solférino, il qualifiait déjà Macron de «ministre d’ouverture»… Les mieux disposés à l’égard du ministre, tel Claude Bartolone, l’invitent à se faire oublier : «C’est un grand ministre, mais il faut qu’il fasse attention quelquefois à sa liberté de ton», a cinglé le président de l’Assemblée nationale sur les ondes.

Au gouvernement, la solitude d’Emmanuel Macron est tout aussi patente. «Je mets au placard un certain nombre d’états d’âme par devoir de solidarité et de pédagogie», glisse un ministre. La ministre de la Fonction publique Marylise Lebranchu, est plus directe, appelant Macron à «parler le moins possible». En réalité, les ministres se délectent plutôt des ennuis de Macron. C’est que ce garçon «charmant, brillant et très agréable», a un peu trop tendance à considérer «qu’il est le ministre de tout». Avec sa loi «croissance», Macron avait été autorisé à empiéter sur les attributions de tous. Et il a pris goût à l’exercice. Au point d’insupporter. «Le travail, c’est moi – lui, il s’occupe d’économie», avait ainsi réagi François Rebsamen après un entretien de Macron aux Echos, dans lequel il appelait le gouvernement à «continuer à réformer en profondeur le marché du travail». Pour tout mea culpa, Macron s’était alors fendu d’un SMS cavalier : «Excuse-moi ma poule»… Son colocataire de Bercy, Michel Sapin, qui a mal supporté les interventions récurrentes de son cadet sur le dossier grec, est lui aussi à bout. «Michel est fatigué psychologiquement, rapporte un conseiller ministériel. Quand tu l’appelles et que tu lui demandes comment il va, il répond “Macron est un con”.» [lire en bas de page le démenti de Michel Sapin à Libération, ndlr]

Début septembre, Myriam El Khomri, la toute nouvelle ministre du Travail, a donc vite été briefée par un collègue : «La première chose à faire, c’est de marquer son territoire par rapport à Macron.» Lequel avait, dès l’annonce du départ de Rebsamen pour Dijon, proposé d’annexer le portefeuille de l’Emploi… «Attention, il a trouvé un nouvel os à ronger : la réforme du code du travail», renchérit un autre. A l’Elysée, on s’attend déjà à devoir arbitrer un «nouveau Yalta» entre El Khomri et Macron. Lequel suivrait de près celui imposé au ministre de l’Economie et à sa secrétaire d’Etat, Axelle Lemaire, sur la question du numérique (lire page 16-17). «Elle le trouve insupportable, il la trouve nulle. Ils ne peuvent pas se voir, ne se parlent pas», rapporte un membre du gouvernement. Macron a demandé sa tête en juin. En vain. La secrétaire d’Etat au Numérique a dû tout de même batailler pour ne pas se faire piquer son projet de loi et en expurger les aspects «business». Dans la bataille, Macron a, lui, gagné de piloter un second projet de loi sur les «opportunités économiques» : un texte qui devrait à nouveau ratisser large… De quoi se forger une réputation d’«individualiste», et de «mauvais camarade». Quand Macron provoque la gauche, personne au gouvernement ne se précipite pour le défendre.

«Pas suffisamment madré»

Même les plus fidèles soutiens du populaire ministre de l’Economie renâclent. «Le propos de Macron sur le statut des fonctionnaires était intempestif et très déstabilisant pour les gens», estime le député de Gironde Gilles Savary, qui en avait fait cet été l’invité d’honneur du séminaire des Réformateurs, les sociolibéraux assumés du PS. Le 21 septembre, Savary, qui a dîné à sa table à l’Hôtel de Lassay, est sorti convaincu de l’absence d’intention maligne du ministre : «Il m’a semblé sincèrement agacé par ce qui lui arrivait. Il a juste réfléchi à voix haute sans mesurer qu’un ministre n’en a pas le droit.»

De sa conversation téléphonique avec le ministre, Richard Ferrand, rapporteur général PS de la loi Macron, est lui aussi sorti ragaillardi : «Il a fait une erreur d’analyse sur la portée politique de ce qu’il a dit. Il en prend la mesure maintenant. Je connais ses convictions de gauche et il ne mérite pas d’être voué aux gémonies.» Intime de Macron qu’il cornaque en sous-main depuis son entrée au gouvernement, Julien Dray récuse toute intention machiavélique : «Macron n’a jamais été mandaté par Hollande pour dynamiter le PS et entériner le tournant social libéral !» Tête de liste dans le Val-de-Marne pour les régionales, ce proche de Hollande n’a pourtant pas été le dernier à recadrer le ministre : «Les machines politiques existent et elles ont un calendrier, dit-il. Il faut qu’Emmanuel apprenne à en tenir compte. C’est un garçon brillant, mais il doit faire attention à ce qu’il dit. Il a un potentiel énorme mais on ne devient pas leader politique en 24 heures.»

De cette inexpérience, Manuel Valls a tiré les conséquences. Mardi, devant le groupe PS, il n’a pas laissé Emmanuel Macron répondre à l’interpellation de la salle. «Valls ne voulait pas prendre le risque d’aller au casse-pipe, pas plus qu’il ne pouvait laisser à découvert son ministre le plus populaire, explique un député proche de lui. Macron occupe peut-être le même créneau idéologique que lui mais il n’est pas suffisamment madré pour lui faire de l’ombre.» Le ministre de l’Economie a d’ailleurs plié l’échine sans discuter : «Il a bien fait, j’aurais fait le con», a-t-il glissé alors à l’oreille d’un député PS.

Atout ou handicap pour la gauche, Macron ?

«Des gens comme lui sont à la fois indispensables pour nous faire gagner le deuxième tour d’une présidentielle, mais peuvent aussi nous faire perdre le premier tour», affirme un ministre hollandais. Gilles Savary juge que l’«homme mérite d’être connu, loin de la figure d’arrogance perchée que dénonce Aubry. L es gens lui savent gré d’ouvrir des débats que les partis ont confisqué par clientélisme. C’est le paradoxe Macron.» Pour les élus PS, la polémique a surtout assez duré. Si tous réclament que le ministre se «concentre sur ses dossiers», peu exigent sa tête. «S’il quittait le gouvernement maintenant, ça ajouterait à la confusion» estime le député frondeur Denys Robiliard. Il ne suffit pas de virer Macron pour faire une politique de gauche.» Un ministre hollandais conclut : «Je ne pense pas qu’il a la politique chevillée au corps. Si on perd en 2017, il partira faire autre chose. Mais si on gagne, il regardera ce qu’on lui propose.»

Suite à la publication de cet article dans Libération des 26 et 27 septembre, Michel Sapin nous apporte ces précisions dont nous en prenons acte: «Bonjour, je trouve étrange et même détestable cette manière d’écrire ce matin qu’un conseiller ministériel anonyme aurait raconté qu’il m’aurait téléphoné et que je lui aurais dit que Macron était un con ! Je ne parle pas de Macron avec les «conseillers ministériels» ! Et on peut dire beaucoup de choses sur Macron, mais pas que c’est un con ! Quand en plus, je faisais part récemment du fait que j’ai pour Macron «amitié et tendresse» ! Je vous serais donc obligé de bien vouloir démentir ces bêtises. Et puis, je ne me sens pas du tout «fatigué psychologiquement». Dire que j’ai apprécié cette fausse citation anonyme, serait exagéré… Et dire que j’ai apprécié le soin que vous avez eu de la rapporter, serait encore plus exagéré. Décidément, j’ai une autre idée du journalisme…»

ParNathalie Raulin,Laure Equy

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