Echange d’«espions» à la frontière russo-estonienne

Published 27/09/2015 in Monde

Eston Kohver (à gauche), et le ministre de l’Intérieur estonien Hanno Pevkur, le 26 septembre à Tartu.

récit

Eston Kohver, condamné en Russie, et Aleksei Dressen, arrêté en Estonie, ont été échangés par les deux pays. Un moyen pour Poutine de montrer patte blanche avant son discours de lundi à l’ONU.

Dans une lumière blafarde, deux paires d’hommes s’avancent sur un pont en béton dénudé au-dessus d’un cours d’eau opaque, la rivière Piusa qui sépare l’Estonie de la Russie. D’un côté, l’agent du contre-espionnage estonien Eston Kohver, accompagné par un membre des services de sécurité russes. De l’autre, Aleksei Dressen, ancien responsable de la sécurité estonienne, escorté par un agent. Sur les images diffusées par la télévision russe, les accompagnateurs ont le visage flouté. Dans une scène digne d’un film sur la guerre froide, les quatre hommes se retrouvent pour procéder à un échange d’«espions».

L’Estonien Kohver a été condamné par un tribunal russe, le 16 août, à quinze ans de camp à régime sévère. Il a été déclaré coupable d’espionnage, de contrebande, de possession illicite d’armes et de passage illégal de la frontière à neuf reprises. Arrêté en septembre 2014 dans le nord-ouest de la Russie près de la frontière estonienne, il a été coincé, selon le FSB (services secrets russes), en possession d’un pistolet, de munitions, de 5 000 euros et «d’équipement spécial pour des enregistrements illégaux» ainsi que «de matériel apparemment destiné à une mission d’espionnage». Mais les autorités estoniennes ont immédiatement dénoncé l’enlèvement de leur policier en mission sur un poste-frontière : alors qu’il travaillait sur une affaire de contrebande impliquant la mafia russe, il aurait été attaqué, sur le territoire estonien, à coup de grenades assourdissantes par des hommes venus de Russie, qui l’ont ensuite emmené dans une prison moscovite. Kohver n’a jamais reconnu sa culpabilité.

Coïncidence

Aleksei Dressen, quant à lui, avait été arrêté en 2012, au moment de monter avec sa femme dans un avion pour Moscou. Recruté alors qu’il rendait visite aux parents de cette dernière près de la capitale russe, l’agent de la police secrète d’Estonie, la KaPo, aurait collecté illégalement, comme agent double, des informations classées confidentielles depuis l’indépendance du pays vis-à-vis de l’Union soviétique en 1991. Son épouse aurait servi de courrier. Selon une source dans les services spéciaux russes interrogés par l’agence Interfax, «en vingt ans de travail, il a transmis à Moscou une quantité énorme de documents précieux concernant les opérations secrètes de la CIA et du MI6 britannique contre la Russie depuis les pays baltes». Le travail de Dressen aurait permis de démasquer un grand nombre d’espions étrangers, d’empêcher le recrutement de contre-espions parmi des hauts fonctionnaires russes, de découvrir les commanditaires de toute une série d’actes antirusses dans les pays baltes.

Sur fond de crise ukrainienne, l’arrestation de Kohver avait été perçue par l’Estonie comme un signe de mauvais augure, le début d’une confrontation ouverte avec la Russie, dont les pays baltes redoutent particulièrement les velléités impérialistes. D’ailleurs, troublante coïncidence, l’incident s’était produit deux jours après une visite du président américain Barack Obama à Tallinn afin de rassurer les pays baltes sur l’engagement des Etats-Unis à garantir leur sécurité dans le cadre de l’Otan. La remise en liberté de l’agent estonien, saluée par Bruxelles et Washington, advient comme une surprise qui coïncide là encore avec l’agenda international. Comme si Vladimir Poutine cherchait à montrer patte blanche avant son intervention devant l’assemblée générale de l’ONU, lundi.

ParVeronika Dorman, correspondante à Moscou

Print article

Leave a Reply

Please complete required fields