Renaissances parisiennes

Published 30/09/2015 in Culture

Au défilé printemps-été 2016 de Courrèges le 30 septembre 2015 à Paris.

Prêt-à-porter féminin printemps-été 2016

Le premier jour de la Fashion Week a été marqué par le renouveau de Courrèges, l’élégance de Lemaire et le retour en force de Margiela.

Courrèges: le passé recomposé

«Ça faisait un moment», lisait-on sur l’invitation du défilé Courrèges, marque hors des circuits mode depuis des lustres mais dont le nom reste associé aux ensembles fuselés et futuristes que le couple André et Coqueline Courrèges faisait porter aux filles «dans le vent» des années 60.

Aujourd’hui, la marque est présidée par un tandem d’ex-publicitaires, Jacques Bungert et Frédéric Torloting, et a surtout désigné en mai le duo Sébastien Meyer et Arnaud Vaillant (reconnus pendant les dernières saisons pour leur micromarque Coperni) à la direction artistique. A eux la tâche, non pas de relancer, mais bien d’exhumer ce merveilleux patrimoine Courrèges.

A l’Opéra-Bastille, les deux jeunes hommes prenaient le micro, se présentaient, un peu comme de bons élèves polis et consciencieux de plaire. Et puis, arrivaient des filles très belles, fraîches et décidées, en body crème. Par-dessus, une déclinaison de ce que peut être aujourd’hui une allure futuriste. Soit des vestes cintrées en cuir, daim ou vinyle, des jupes ou robes particulièrement mini. Du lamé argenté, évidemment, des mélanges de jaune canari et de bleu Klein. On sent là que Meyer et Vaillant, pas encore 30 ans, s’inscrivent dans la filiation d’un Nicolas Ghesquière. Le pari était complexe, il est indiscutablement réussi tant tout s’adapte aux impératifs créatifs et commerciaux, tant la collection est clairement désirable aux yeux de la jeune fille «dans le vent» (même si l’expression ne s’emploie plus) d’aujourd’hui. On pourra dire qu’il n’y a là pas de propos follement radical, d’invention science-fictionnesque. Mais de toute manière, l’époque n’est pas à la foi absolue dans le futur.

Au défilé Christophe Lemaire. Photo Camille McOuat

Lemaire: voyage spatio-temporel

Impeccable. C’est sans aucun doute l’impression que laisse, à chacune de ses collections, masculine comme féminine, le créateur Christophe Lemaire. A sa manière, toujours discrète, le styliste français connaît depuis quelques saisons un réel frémissement. Et ce, autant dans la reconnaissance que le «milieu» lui prête que dans son activité créatrice. Après son départ de Hermès, où il dessinait la ligne femme, il y a un an, puis un nouveau baptême avec l’ablation de son prénom à l’appelation de sa marque, voilà que Lemaire, as de l’épure luxueuse, du jamais-sans-mon-étoffe-précieuse, s’apprête à sortir, le 2 octobre une collection pour le géant mondial du prêt-à-porter bon marché, Uniqlo. Mais, mardi matin, au Jeu de Paume, c’est au centre, au point d’équilibre de son univers d’élégance que l’on se retrouvait immergé. La silhouette évoque, comme souvent, une sorte d’apparition seventies : couleurs sables, gris taupe, blanc pur, vert sapin, quelques imprimés «papiers peints» ou tests de Rorschach, pulls sans manches en crochet et jupes amples en cotonnade. Mais surtout, de cette décennie que l’on idéalise bohème, Lemaire retient le vagabondage. Les filles ont des bottes qui pourraient aider à arpenter les steppes et surtout des djellabas blanches peintes de délicats motifs bleus. On est quelque part entre Paris, Tanger et l’Asie centrale, dans une aventure que poursuit sans cesse cette femme rêvée. Et on se dit qu’on serait bien, nous aussi, du voyage.

Au défilé Maison Margiela. Photo Camille McOuat

Maison Margiela: sirènes en tout genre

Depuis que John Galliano a repris la direction artistique de la Maison Margiela, celle-ci s’est dotée d’une nouvelle aura dont on peut mesurer l’importance croissante au degré de notoriété de ses invités : même Anna Wintour était présente, fidélité à Galliano oblige. Le décor sobre – par le passé, la Maison avait déjà habillé les murs de sacs poubelle – était une invitation à se concentrer sur les silhouettes, déclinant la plupart des thèmes chers à la marque (le Japon, les traces de peinture, le tailoring) passés par le prisme Galliano qui apporte en général une exubérance baroque.

L’Anglais semblait cette fois inspiré par les fonds marins et il se dégageait des vêtements une impression d’emprisonnement. Les bras et les jambes étaient pris dans des filets, les hanches enroulées dans du film plastique (une métaphore écologiste ?), les cheveux plaqués et ficelés, les tissus superposés (sous des voiles transparents, on distingue des strates de pierres brillantes), le corps parfois noué. A défaut d’être libératrice, l’eau abolit les genres et, parmi ces sirènes, on trouvait aussi des hommes habillés comme les femmes, dont on ne pouvait deviner le sexe qu’en scrutant leur torse plat. Leur androgynie rappelait celle de Bowie, dont le maquillage outrancier et l’allure glam rock semblent ne jamais devoir passer de mode. Au milieu de cette faune, quelques silhouettes beaucoup plus portables, des costumes noirs et verts d’une grande simplicité, un manteau noir au col léopard, une robe blanche, à la coupe impeccable. John Galliano navigue avec autant d’assurance dans le conceptuel que dans le pragmatique.

ParClément Ghys etElvire von Bardeleben

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